Métrique en Ligne
DUC_2/DUC55
Alexandre DUCROS
Les Caresses d'Antan
1896
Eva
Sa vie était une berceuse. 8
On l'appelait : — La paresseuse. 8
Comme dans un demi sommeil, 8
Elle allait, belle nonchalante, 8
5 Adorablement indolente, 8
Fermant les yeux au ciel vermeil. 8
Dans son boudoir ou dans sa chambre, 8
Que ce fut juillet ou décembre, 8
Elle restait. — Le mouvement 8
10 Pour elle était une fatigue, 8
Pour elle un travail, qu'une intrigue… 8
Et je fus son unique amant. 8
Dans sa volontaire retraite, 8
Tantôt elle effeuillait, distraite, 8
15 Des fleurs aux parfums pénétrants ; 8
Tantôt elle essayait de suivre 8
Les premières pages d'un livre, 8
Avec des yeux indifférents. 8
L'était une muette extase ! 8
20 Dans de longs plis de fine gaze, 8
Son corps de chatte se moulait ; 8
Car pour ce corps souple qui ploie, 8
Trop lourde même était la soie ; 8
Le poids du velours l'accablait ! 8
25 La soubrette, en ouvrant la porte, 8
Hier matin la trouva morte. 8
Elle crut d'abord faire erreur, 8
Car dans son lit en bois de rose, 8
Elle gardait la même pose, 8
30 Elle qui vivait… comme on meurt. 8
Dans un cercueil de palissandre, 8
Tout à l'heure on va la descendre. 8
Elle semble dire ces mots : 8
— « Bons croque-morts, je vous invite 8
35 A ne pas m'emporter trop vite… 8
Doucement !… je crains les cahots ! » 8
Et dans le pays des ténèbres, 8
A huit heures, des gens funèbres, 8
Aux chants du rituel latin, 8
40 Ont amené ce corps inerte. 8
On ne la vit jamais, non, certe, 8
Jamais se lever si matin ! 8
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