LES RUBANS DE MARIE |
Simple Histoire |
II |
Ruban bleu |
|
Ton front est inquiet, ô Marie ! et ta mère |
12 |
|
Ne t'a pas entendu réciter la prière |
12 |
|
Qu'ensemble à ton chevet vous faisiez le matin. |
12 |
|
Bien des fois de tes doigts ton aiguille est tombée, |
12 |
5 |
Vis-à-vis, ton regard erre à la dérobée, |
12 |
|
Et ton oiseau tout seul a chanté son refrain. |
12 |
|
|
Qu'as-tu ? quelle langueur décolore ta joue |
12 |
|
Et quel esprit malin de ton repos se joue ? |
12 |
|
Hier encor tu riais, libre ainsi qu'à seize ans. |
12 |
10 |
Mais, ta mère va mieux, tu dois être joyeuse ? |
12 |
|
Es-tu malade ? non. — Ma jeune soucieuse, |
12 |
|
Pourquoi ce front rêveur et ces yeux languissants ? |
12 |
|
|
D'où naît ce changement ? — Regarde en ta demeure, |
12 |
|
Gaie et contente hier, maintenant tout y pleure. |
12 |
15 |
Pourquoi, mon Dieu, pourquoi ce subit abandon ?… |
12 |
|
Quel secret caches-tu ? quel trouble ? quel mystère ?… |
12 |
|
Tu détournes les yeux, enfant, pourquoi nous taire, |
12 |
|
Vers quel bonheur perdu ces longs soupirs s'en vont ? |
12 |
|
|
Tout auprès, vis-à-vis, dans une chambre étroite |
12 |
20 |
Que l'été rend brûlante et l'hiver toute moite |
12 |
|
D'humidité, — depuis quinze jours environ, |
12 |
|
Habitait un jeune homme. — Orphelin dès l'enfance |
12 |
|
Il n'avait pas connu sa mère ; — à sa naissance |
12 |
|
Le signe du mépris avait meurtri son front. |
12 |
|
25 |
Un soir, de bonnes gens l'avaient sur une pierre |
12 |
|
Ramassé tout enfant, presque nu, car sa mère, |
12 |
|
Que nul ne vit jamais, l'avait abandonné. |
12 |
|
Ils en eurent pitié, ses pleurs les attendrirent ; |
12 |
|
Ce que n'avait point fait une mère, ils le firent ; |
12 |
30 |
Ils donnèrent leur pain à l'enfant nouveau-né. |
12 |
|
|
Plus tard, lorsqu'il grandit, il dut gagner sa vie, |
12 |
|
Et souvent il jetait un long regard d'envie |
12 |
|
Sur les autres enfants dont il voyait les jeux ; |
12 |
|
Mais lorsqu'il recherchait leur troupe fortunée, |
12 |
35 |
L'ouvrage l'appelait, son pain de la journée ! |
12 |
|
Et l'enfant retournait au chantier soucieux. |
12 |
|
|
— « Toujours seul ! disait-il, jamais une voix douce. |
12 |
|
Celui que je voudrais pour ami me repousse, |
12 |
|
Et je vais dévorer mes larmes à l'écart. |
12 |
40 |
Je n'ai pas demandé pourtant, Seigneur, à naître ? |
12 |
|
N'aurais-tu pas mieux fait de dérober à l'être |
12 |
|
Le pauvre paria qu'ils appellent bâtard. » |
12 |
|
|
Louis, — c'était son nom, — voyait passer Marie ; |
12 |
|
Il l'attendait le soir. — C'était là de sa vie |
12 |
45 |
Le seul bonheur, hélas ! — Marie, en souriant, |
12 |
|
Lui donnait un « Bonsoir ! » lorsqu'elle entrait chez elle, |
12 |
|
Et lui la contemplait, il la trouvait si belle |
12 |
|
Qu'il n'osait lui parler dans son ravissement. |
12 |
|
|
Mais il était toujours placé sur son passage, |
12 |
50 |
Un regard bienveillant lui donnait du courage. |
12 |
|
— « Si tu voulais m'aimer, ange ! murmurait-il, |
12 |
|
Mais, si bas que lui seul l'entendait dans son âme ; |
12 |
|
Si tu voulais m'aimer, — de cette foule infâme |
12 |
|
Je braverais l'affront ! — Comme la fleur d'avril |
12 |
|
55 |
S'échappe du bouton qui parfume sa tige, |
12 |
|
Et vient ouvrir son sein à l'oiseau qui voltige, |
12 |
|
Comme elle, douce enfant, je t'ouvrirais mon cœur |
12 |
|
Fermé jusqu'aujourd'hui. — De ton amour la force |
12 |
|
Saurait briser, crois-moi, sa trop rugueuse écorce, |
12 |
60 |
Et serait le soleil qui féconde la fleur ! » |
12 |
|
|
Un jour, elle venait de reporter l'ouvrage ; |
12 |
|
Marie, en s'approchant, aperçut dans la cage |
12 |
|
Un joyeux compagnon pour son oiseau chéri. |
12 |
|
D'un nouvel oiselet ayant fait la demande, |
12 |
65 |
Elle crut deviner de qui venait l'offrande, |
12 |
|
Car celui-ci portait son ruban favori. |
12 |
|
|
— « C'est toi, mère ? fit-elle. — Ah ! je te remercie, |
12 |
|
— « Mais non, c'est le voisin qui tantôt, ma chérie, |
12 |
|
M'a dit : — Votre chanteur, tout seul, doit s'ennuyer, |
12 |
70 |
Car vivre seul, allez ! c'est bien triste, madame !… |
12 |
|
Mais, à deux, ces oiseaux égrèneront leur gamme |
12 |
|
Comme des perles d'or au paisible foyer. » |
12 |
|
|
Le soir, lorsque Louis eut fini sa journée, |
12 |
|
Marie, en rougissant, — elle en fut étonnée, |
12 |
75 |
Alla remercier son généreux voisin. |
12 |
|
Louis, en l'écoutant, avait comme la fièvre ; |
12 |
|
Un mot : — « Oh ! je vous aime ! » échappa de sa lèvre, |
12 |
|
Qui de la pauvre enfant vint effleurer la main ! |
12 |
|
|
Elle rêva la nuit… Mais non plus l'heureux songe |
12 |
80 |
Dans lequel chaque soir, le cœur en paix se plonge, |
12 |
|
Car elle ne vit point le paradis et Dieu. |
12 |
|
Cet aveu de Louis, le songe le répète !… |
12 |
|
Pensive, le matin, elle mit sur sa tête, |
12 |
|
Au lieu du ruban blanc, un autre ruban bleu ! |
12 |
|