Métrique en Ligne
DUC_1/DUC14
Alexandre DUCROS
Les Capricieuses
1854
LE CHEVAL ET LE MULET
FABLE
A mon ami Auguste ATGER.
Au temps du moraliste Ésope, 8
Où, sous l'animale enveloppe, 8
Les bêtes avaient une voix 8
Pour nous parler et nous instruire, 8
5 On dit que l'on vit une fois 8
Ce qu'ici je m'en vais te dire : 8
Un cheval, tout fier de son rang, 8
Fort orgueilleux de sa naissance, 8
Cheval… enfin, cheval pur sang, 8
10 Né pour le faste et l'opulence, 8
A certain mulet de fermier 8
Faisait, dans maints et maints chapitres, 8
La légende de tous ses titres : 8
— Je suis, lui dit-il, le premier 8
15 De la maison ; chacun me fête ; 8
On vante mon agilité, 8
Et, lorsque par une coquette 8
Mon jeune maître est invité 8
A quelque charmant tête-à tête, 8
20 C'est moi qui l'entraîne au plaisir ; 8
Par ma grande vitesse, il goûte 8
Plus tôt le bonheur, et la route 8
N'est pas si longue à parcourir. 8
Toi, que fais-tu ?… Dès que l'aurore 8
25 Parait à l'horizon obscur, 8
A l'heure où moi je dors encore, 8
Sur ton dos le harnais impur 8
T'appelle au labour dans la plaine, 8
Ou, pour quelque ville lointaine, 8
30 La charrette est là qui t'attend. 8
Oh ! je te plains sincèrement ! 8
— Quoi ! répond le mulet modeste, 8
Tu me plains ?… Merci ! je te l'atteste, 9
C'est moi qui te plains beaucoup, 7
35 Car je suis trop fier, du reste. 7
Du lourd collier de mon cou. 8
J'aime mon sort. De grâce ! cesse 8
De vanter le tien sur le mien ! 8
Et que m'importe ton adresse, 8
40 Mon pauvre cheval ! retiens bien 8
Que mon sort est cent fois plus noble que le tien. 12
Car je sers le travail… toi, tu sers la paresse. 12
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