Métrique en Ligne
DSA_1/DSA16
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
XV
DE AMICITA
Cependant Paul courut à l'hôtel de Surville. 12
Il y trouva Caron qui, pour former son style, 12
Lisait très-gravement les harangues du duc. 12
Déjà le secrétaire avait un air caduc, 12
5 Ainsi qu'un vieux portrait dans une boiserie. 12
« — Eh quoi ! Firmin, si tard !
— Laissons là, je te prie,
Tout préambule. Apprends que dès demain je dois 12
Avec de Rozemon me rencontrer au Bois. 12
Rendez-vous est donné. La motif qui m'anime 12
10 Crois-le, mon cher Caron, est plus que légitime. 12
De ta vieille amitié demain j'aurai besoin. 12
Puis-je compter sur toi pour être mon témoin ? » 12
Caron, sans interrompre, écoutait calme et grave. 12
« — Ainsi d'un préjugé Firmin subit l'entrave ! 12
15 S'écria-t-il, et lui dont la haute raison… 12
— Mon cher, cette homélie est fort peu de saison. 12
Il faut que je me batte.
— Il le faut ! c'est étrange !
— On outrage une femme… il faut que je la venge. 12
— Voilà donc le grand mot ! Un mari, je conçois, 12
20 Pourrait, à la rigueur, braver ainsi les lois ; 12
Mais aller te jeter dans une telle affaire, 12
C'est jeune, c'est naïf autant que téméraire. 12
— Puis-je compter sur toi ?
— Malheureux ! qu'as-tu dit ?
Moi témoin d'un duel, quand il est interdit ! 12
25 Dans ma position j'irais me compromettre ! 12
— C'est bien. N'en parlons plus. J'aurais dû te connaître, 12
Dit amèrement Paul. Chez toi toute action 12
Pour cause a l'intérêt, pour but l'ambition. 12
Je vais chercher ailleurs un ami plus sincère. » 12
30 « — De venir m'ennuyer était-il nécessaire ? » 12
Se dit Caron, alors que Firmin fut parti. 12
Bientôt de l'incident le duc fut averti 12
Et de son secrétaire il vanta la conduite. 12
« — Vous êtes, lui dit-il, un garçon de mérite, 12
35 Et vous vous lancerez, je l'espère, avant peu. 12
Laissez aux imprudents cette ardeur, ce grand feu ; 12
Prenez dans mon passé les exemples à suivre. 12
Ce n'est point pour autrui, c'est pour soi qu'il faut vivre. 12
Combien de jeunes fous vont, d'un pas diligent, 12
40 Dépenser l'un sa vie, et l'autre son argent ! 12
Gardez soigneusement cette double ressource : 12
Ne prodiguez pas plus le temps que votre bourse. 12
Chacun pour soi, mon cher, souvenez-vous-en bien ; 12
A qui ne donne pas, jamais ne manque rien 12
45 Mais je ris en songeant au motif de la lutte ! 12
Avec ce bon Cercourt j'eus plus d'une dispute ; 12
Il voulait épouser… Il voulait rajeunir… 12
Femme qu'on prend trop tard et qu'on pense tenir 12
Est un oiseau gentil, mais qui reste sauvage 12
50 Et guette le moyen de sortir de sa cage. 12
Il ne me croyait pas, ce brave général ; 12
C'est même tout au plus s'il me jugeait moral… 12
Vous le voyez, Caron, j'ai dans l'art de prédire 12
Un succès que jamais nul n'a pu contredire. 12
55 Jadis, de l'Empereur je prévis les revers : 12
Aussitôt aux Bourbons j'allai, les bras ouverts ; 12
Et lorsque des Bourbons la France fut purgée, 12
Au roi du sept août ma foi fut engagée. 12
Voilà de la prudence et de l'habileté !… 12
60 Nous partons dans deux jours, c'est un point arrêté. 12
A propos, le ministre accorde, à ma demande, 12
Pour vous, mon cher Caron, une faveur très-grande… 12
Cette boîte contient le brevet de la croix. 12
— Se peut-il, Monseigneur !… C'est à vous que je dois 12
Cet honneur !
65 — Il est dû, mon cher, à votre grade.
La croix est nécessaire aux agents d'ambassade ; 12
Et tout le personnel doit être décoré, 12
Pour que l'ambassadeur soit très-considéré. » 12
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