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Son nom ? — Tu veux savoir s'il fut illustre ou non ? |
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Eh bien, je ne sais pas ! Que peut te faire un nom ! |
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Personne sur son front n'inscrit le nom qu'il porte ! |
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C'était un homme, avec un nom. Mais que t'importe ? |
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— Sa race ? — Laissons là, crois-moi, tous ses aïeux ! |
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L'âme de bien des morts tressaillait dans ses yeux ; |
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Mais la sienne, à coup sûr, l'obsédait davantage. |
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C'était un homme, avec un très riche héritage |
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De désirs obstinés dans leur espoir têtu, |
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D'âmes vieilles pesant sur son âme, entends-tu ! |
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Quant à l'autre blason qu'une race confère, |
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Il ne le montrait pas, et tu n'en as que faire. |
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— Sa patrie ? — Insensé ! Quelle est-elle ici-bas ? |
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Lequel nous appartient le plus, des deux grabats |
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Où la vie ouvre et ferme à son gré sa spirale, |
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Du premier où l'on crie, et de l'autre où l'on râle ? |
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La patrie ! Est-ce un champ ? Une île ? Un astre entier ? |
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Né dans un large lit, ou né dans un sentier, |
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C'était un homme avec la terre pour patrie, |
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Ou pour exil ; un homme avec l'âme meurtrie ! |
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— Son âge ? — En sauras-tu plus long, si je le dis ? |
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Ah ! Le vieillard traînant ses membres engourdis, |
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Souvent, plus que le corps, a le cœur lourd d'années, |
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Et l'esprit éperdu sous les heures damnées |
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Plus encor que le cœur ! Vois ! Cherche son regard, |
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Et lis, si tu le peux, dans un rayon hagard, |
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Sous le double fardeau de l'angoisse amassée |
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Laquelle a plus vieilli, la chair ou la pensée ! |
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Et quand le corps enfin a fait son dernier pas, |
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Il aspire au repos éternel, mais non pas |
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L'âme encor préparée aux étreintes futures ! |
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C'était un homme, avec d'innombrables tortures |
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Dans la poitrine, et qui se couchait gravement, |
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Pour mourir, sous un ciel au louche flamboiement. |
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— Où donc ? Dans quel pays ? Dans quel siècle ? — Tu railles ! |
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As-tu peur de mourir loin de quatre murailles, |
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Sans amis, sans parents, sans pleurs, abandonné ? |
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Et quand ton heure à toi de même aura sonné, |
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Me demanderas-tu, réponds, quelle frontière |
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Creusera ton sépulcre, et dans quel cimetière ? |
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Dans quel siècle, as-tu dit ? Va ! Le malheur est vieux ! |
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Et comme hier, demain, l'invisible envieux, |
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Toujours multipliant ses noires fantaisies, |
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Saura fouiller les flancs des victimes choisies. |
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Tant qu'il lui restera quelque hochet vivant, |
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Va ! Le malheur toujours sera jeune et savant ! |
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C'était un homme, avec ses luttes infinies, |
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Jouet depuis longtemps des lentes agonies, |
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Et qui, seul, une nuit, sur le dos renversé, |
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Râlait au coin d'un bois, au bord d'un dur fossé, |
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Sans prière, sans plainte aussi, les membres roides, |
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Et les yeux grands ouverts au fond des brumes froides ! |
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Il suffit. Et la mort dans ses veines filtrait. |
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Mais avant d'expirer, voilà que, tout d'un trait, |
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Il revit devant lui passer l'horrible drame |
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De ses jours dont l'enfer avait tissé la trame. |
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Alors il dit : « Soyez demain plus odieux ; |
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« J'ai le rêve et l'orgueil ; je vous pardonne, ô dieux ! » |
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