Métrique en Ligne
DLR_9/DLR799
Lucie Delarue-Mardrus
LES SEPT DOULEURS D'OCTOBRE
1930
II
L'AVENUE
LA HAIE
A Ma Sœur Charlotte Henry Nocq.
Courte et drue et traçant la forme de nos prés, 12
La haie, et tout ce qui l'égaie, 8
Gracieux cadre en fleurs des herbages carrés, 12
Muraille sans briques, la haie ; 8
5 Avec ses trous par où l'inconnu s'aperçoit, 12
La haie où la ronce se vautre, 8
La haie, en son parler, gronde : « Chacun chez soi ! » 12
Et gronde : « C'est moi… Mais c'est l'autre !… 8
La nature candide y loge ses oiseaux, 12
10 Sans savoir qu'elle est mitoyenne. 8
Mais l'esprit des humains a mis dans ses réseaux 12
Défiance, inimitié, haine. 8
Innocente, elle prend la couleur des saisons, 12
Cache des nids, berce des branches, 8
15 Et, par-dessus l'essor de ses ombelles blanches, 12
Laisse passer les horizons. 8
Elle ne connaît rien que ce qui s'enchevêtre 12
Dans la trame de ses lacets, 8
Rien que le ciel qui fuit ou l'ombre du gros hêtre, 12
20 Mais elle ignore les procès, 8
Aussi durables qu'elle, engagés d'âge en âge, 12
Les sombres procès paysans 8
Qui grimacent toujours, gobelins patoisants, 12
Parmi le calme de l'herbage. 8
25 La haie inextricable et dont le mur de houx 12
Garde, hérédité féodale, 8
La personnalité terrible de chez nous, 12
La haie, elle est aussi morale. 8
Elle existe, invisible, au fond de tout normand. 12
30 Je la sens, au fond de moi-même, 8
Dresser contre l'intrus ses houx, férocement, 12
Et défendre tout ce que j'aime. 8
Elle gronde : « Chacun chez soi ! » n'admettant pas 12
Les étrangers dans sa prairie. 8
35 L'églantine y est rose et l'épine fleurie, 12
Mais on s'y grifferait les bras. 8
Et c'est plus que jamais que je suis derrière elle, 12
Regardant, de mes yeux déçus, 8
Toute seule à l'abri de ma haie éternelle, 12
40 La mer qui se voit par-dessus. 8
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