Métrique en Ligne
DLR_9/DLR792
Lucie Delarue-Mardrus
LES SEPT DOULEURS D'OCTOBRE
1930
II
L'AVENUE
MA MAISON
Soixante-dix tilleuls avec leur épaisse ombre 12
Font une petite forêt. 8
Ma maison, au milieu de cette masse sombre, 12
Est cachée ainsi qu'un secret. 8
5 Des bêtes qu'on ignore, au fond de la broussaille, 12
Vivent tout autour de mes murs, 8
Et je sens circuler leurs petits esprits purs 12
Dans le beau temps ou la grisaille. 8
Les oiseaux, comme autour de quelque lieu béni, 12
10 Jamais n'y ont peur de personne. 8
Dans le talus, tout près, trouvant la place bonne, 12
Des rouges-gorges font leur nid. 8
Chaque jour, sans recul et sans horreur physique, 12
On rencontre un même crapaud, 8
15 Un crapaud aux yeux d'or dans une affreuse peau, 12
Qu'attire, on croirait, ma musique. 8
Des lapins de garenne et des lièvres, parfois, 12
Montrent à deux pas leurs oreilles. 8
Des écureuils légers, ces petites merveilles, 12
20 Sont tranquilles comme en plein bois. 8
Une taupe établit son trou, comme un chef-d'œuvre, 12
Sous une chaise de jardin, 8
La salamandre luit sur le premier gradin, 12
Ou bien la glissante couleuvre. 8
25 Je sais des hérissons, des belettes, des loirs 12
Et des grenouilles un peu fées. 8
Et les oiseaux de nuit, dès que tombent les soirs 12
Passent en rondes étouffées. 8
Les chouettes, souvent, se répandent en cris 12
30 Au bord même du toit, peut-être. 8
Et, frappant à la vitre, une chauve-souris 12
Chaque nuit danse à la fenêtre. 8
Aux plus proches fourrés, un frôlement furtif 12
Révèle les gentilles scènes 8
35 Dont m'entoure, bien loin des présences humaines, 12
Ce petit monde inoffensif. 8
Menus pas, menus cris, fourrures, museaux, ailes 12
Vivent dans l'ombre de mon toit. 8
Ces bêtes ne sont pas, en vérité, chez moi : 12
40 C'est plutôt moi qui suis chez elles. 8
Et quand l'automne, avec son grand cortège blond, 12
Miraculeuse, est revenue, 8
Les feuilles, en tombant, entrent dans le salon, 12
Se croyant dans leur avenue. 8
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