Métrique en Ligne
DLR_7/DLR684
Lucie DELARUE-MARDRUS
A MAMAN
1920
IV
SOUVENIRS
A SES MAINS
I
Je veux ici tes mains auprès de mon esprit, 12
Tout comme si leur petite ombre 8
S'allongeait, délicate et sombre, 8
Sur cette page blanche où mon rêve s'inscrit 12
5 Venez vivre à jamais, deux mains tout en ivoire, 12
Parmi ces poèmes pieux, 8
Pour que, regardant par mes yeux, 8
Ceux qui liront ceci vous aient en leur mémoire 12
Elles avaient bercé, ces deux blanches mains-là, 12
10 Tous les nouveau-nés que nous fûmes, 8
Souvenir perdu 'dans les brumes 8
De la première enfance, insondable au-delà 12
Elles avaient bercé, puis soigné, des années, 12
Toujours soigné, si doucement. 8
15 C'étaient bien des mains de maman, 8
Des mains que le devoir faisait passionnées 12
Elles avaient cousu des milliers de points, 12
Ouvrage blanc des heures lentes, 8
Infatigables, patientes, 8
20 Toujours cousu pour nous, inventeuses de soins 12
Elles avaient, tes mains, maman, versé des charmes 12
Aux malades sur l'oreiller ; 8
Et, tristement réfugié, 8
Ton visage, souvent, y avait mis ses larmes 12
25 Et, lorsque vint l'horreur longue des derniers jours, 12
— Qu'à jamais mon être en frissonne ! 8
— Ne pouvant plus soigner personne, 8
On les eût dit alors appelant au secours 12
Petites mortes mains, quand je vous ai croisées 12
30 Sur cette rose de l'adieu, 8
Mains froides, quand ma bouche en feu, 8
Pour la dernière fois, enfin, vous a baisées, 12
Comme j'ai bien senti mon cœur dépossédé, 12
Mains d'honnête femme et de dame ! 8
35 Et, ce dernier regard, quel drame, 8
Chers petits pouces ronds, cher petit doigt du dé ! 12
Mains qui vous dépouillez, à présent, d'heure en heure, 12
Dans le caveau privé de jour, 8
Pour laisser paraître à son tour, 8
40 Maigre effroyablement, la main intérieure, 12
Belles mains de maman, ne vous remplaceront 12
Jamais nulle autre humaine paume, 8
O mains désormais de fantôme, 8
Invisible cachet sur ma joue et mon front ! 12
II
45 Elle ne savait pas comme elle était jolie, 12
Son active petite main. 8
Quand on le lui disait, elle songeait : « Folie ! » 12
Avec un sourire gamin 8
Elle nous répondait : « Elle est comme le reste !… » 12
50 De sa naissance à son tombeau, 8
Elle sera restée éperdûment modeste. 12
Pour elle, tout était trop beau 8
— Reposez, chères mains qui vous êtes usées 12
A donner tant de soins divers. 8
55 Reposez à jamais, tranquilles et croisées, 12
Au reliquaire de mes vers. 8
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