Métrique en Ligne
DLR_7/DLR665
Lucie DELARUE-MARDRUS
A MAMAN
1920
II
DE PROFUNDIS
AGONIE
Mes yeux, comme du sang, versent des flots de pleurs 12
Maman qui m'as portée et nourrie et bercée, 12
Toi que je partageais avec toutes mes sœurs, 12
Je suis seule avec toi, je te vois renversée, 12
5 Je t'appelle… — Maman ! Est-ce vrai que tu meurs 12
La voici donc, l'horreur que Ton ne peut pas dire ! 12
Sur ce lit où ton corps tragique a tout souffert, 12
Où pleuraient tes grands yeux révulsés de martyre, 12
Je fixe maintenant ton visage si cher 12
10 Dont se pince le nez, dont la bouche se tire 12
« Oui !… Oui !… C'est bien cela, dit l'instinct animal. 12
Oui, c'est la MORT ! Tu peux hurler comme une bête ; 12
Tu l'as bien reconnu, le grand signe fatal ! 12
Après la vie, après tout ce qui fait du mal, 12
15 Voici le grand repos mérité qui s'apprête. » 12
Oh ! maman ! La tristesse affreuse de tes yeux ! 12
Tes beaux yeux maternels, tes yeux d'honnête femme, 12
Ils se sont à demi refermés sur leur drame, 12
Ils semblent, en mourant, à jamais douloureux. 12
20 Triste jusqu'à la mort, certes, pauvre chère âme ! 12
Autrefois, tout en nous berçant, tu t'endormais. 12
Tu t'endors, je vois bien, ce soir encore, mais… 12
— Maman, je suis toujours ta petite dernière ; 12
La nacre de la mort brille sous ta paupière, 12
25 Maman, maman, vas-tu nous quitter à jamais ? 12
Le crépuscule vient. Ton râle monte à peine. 12
En toi va s'engloutir la nuit avec la mort. 12
Pour bercer en pleurant ton âme qui s'endort, 12
Comme toi je fredonne : « Au bord d'une fontaine », 12
30 « Le Roi Louys… » Maman, t'en souvient-il encor ? 12
… Requiescat ! Voici le suprême naufrage, 12
Et tes funèbres yeux sont restés sans espoir. 12
Jusqu'au spasme final j'ai guetté ton visage, 12
Et j'ai compris le sens de ta dernière page 12
35 Et que tu descendais au fond d'un gouffre noir 12
Maman ! Maman !… Alors c'est donc cela, la vie ? 12
Tant lutter pour ainsi sombrer dans l'océan ? 12
Redescendre à jamais quand la côte est gravie ? 12
Mourir ?… Toute espérance à présent m'est ravie. 12
40 — Oh ! pourquoi t'ai-je vue entrer dans le néant ? 12
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