II |
DE PROFUNDIS |
AGONIE |
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Mes yeux, comme du sang, versent des flots de pleurs |
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Maman qui m'as portée et nourrie et bercée, |
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Toi que je partageais avec toutes mes sœurs, |
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Je suis seule avec toi, je te vois renversée, |
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Je t'appelle… — Maman ! Est-ce vrai que tu meurs |
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La voici donc, l'horreur que Ton ne peut pas dire ! |
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Sur ce lit où ton corps tragique a tout souffert, |
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Où pleuraient tes grands yeux révulsés de martyre, |
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Je fixe maintenant ton visage si cher |
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Dont se pince le nez, dont la bouche se tire |
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« Oui !… Oui !… C'est bien cela, dit l'instinct animal. |
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Oui, c'est la MORT ! Tu peux hurler comme une bête ; |
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Tu l'as bien reconnu, le grand signe fatal ! |
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Après la vie, après tout ce qui fait du mal, |
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Voici le grand repos mérité qui s'apprête. » |
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Oh ! maman ! La tristesse affreuse de tes yeux ! |
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Tes beaux yeux maternels, tes yeux d'honnête femme, |
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Ils se sont à demi refermés sur leur drame, |
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Ils semblent, en mourant, à jamais douloureux. |
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Triste jusqu'à la mort, certes, pauvre chère âme ! |
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Autrefois, tout en nous berçant, tu t'endormais. |
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Tu t'endors, je vois bien, ce soir encore, mais… |
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— Maman, je suis toujours ta petite dernière ; |
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La nacre de la mort brille sous ta paupière, |
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Maman, maman, vas-tu nous quitter à jamais ? |
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Le crépuscule vient. Ton râle monte à peine. |
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En toi va s'engloutir la nuit avec la mort. |
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Pour bercer en pleurant ton âme qui s'endort, |
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Comme toi je fredonne : « Au bord d'une fontaine », |
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« Le Roi Louys… » Maman, t'en souvient-il encor ? |
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… Requiescat ! Voici le suprême naufrage, |
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Et tes funèbres yeux sont restés sans espoir. |
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Jusqu'au spasme final j'ai guetté ton visage, |
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Et j'ai compris le sens de ta dernière page |
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Et que tu descendais au fond d'un gouffre noir |
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Maman ! Maman !… Alors c'est donc cela, la vie ? |
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Tant lutter pour ainsi sombrer dans l'océan ? |
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Redescendre à jamais quand la côte est gravie ? |
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Mourir ?… Toute espérance à présent m'est ravie. |
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— Oh ! pourquoi t'ai-je vue entrer dans le néant ? |
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