Métrique en Ligne
DLR_7/DLR662
Lucie DELARUE-MARDRUS
A MAMAN
1920
I
DÉDICACE
DÉDICACE
Le chagrin pleure et chante. Il ressemble à l'amour 12
Il nous exalte. Il nous enivre. 8
C'est avec mon chagrin que je t'ai fait ce livre, 12
Afin qu'il te fasse revivre 8
5 Malgré la terre épaisse et le sépulcre lourd. 12
Voici ce qu'aujourd'hui tendrement je t'élève 12
Pour te tirer d'entre les morts. 8
Au temps où, lentement, tu me donnais ta sève, 12
Quand tu me portais dans ton corps, 8
10 Sentais-tu que j'étais cette fille de rêve ? 12
O ma mère ! Déjà n'étais-je pas pour toi, 12
Merveilleusement, ton poète ? 8
Non. Ma naissance à moi ne fut pas une fête. 12
Tu n'as pas vu briller ma tête. 8
15 Je n'étais qu'une enfant de plus sous le grand toit 12
Je venais à mon tour après mes sœurs aînées, 12
Et nul, quand je me tins debout, 8
Ne vit derrière moi comme un grand ange fou. 12
J'étais la dernière, et c'est tout, 8
20 Et je n'avais pour moi que mes courtes années 12
La plus petite, oui ! toujours, jusqu'à la fin ; 12
La plus petite et la plus douce. 8
Toutes, tu nous soignais comme un jardin qui pousse 12
Comme des oiseaux dans la mousse. 8
25 Mais aujourd'hui c'est moi qui suis l'aînée, enfin ! 12
J'étais la plus petite et j'en étais heureuse. 12
Ceci n'est pas un cri d'orgueil. 8
Ceci n'est que ferveur, grande tendresse, deuil, 12
Et, devant le suprême seuil, 8
30 Qu'un chant pour que ta mort paraisse moins affreuse 12
Un poète ! Pouvoir, dans ce langage-là, 12
Dire un peu ta bonté, ton charme, 8
Tout ce qu'aimèrent ceux que le destin désarme, 12
Parer ta mort de cette larme, 8
35 Voilà tout mon orgueil du livre que voilà 12
Ce livre filial né de mon âme amère, 12
Ce poème, gerbe de fleurs, 8
C'est toute ma tristesse et celle de mes sœurs… 12
Et puisse-t-il bercer les cœurs 8
40 De ceux qui, comme nous, pleurent tout bas leur mère. 12
logo du CRISCO logo de l'université