Métrique en Ligne
DLR_6/DLR661
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
VIII
DEUILS ROUGES
A GEORGES TROUILLOT
L'incomparable ami paternel, il n'est plus. 12
Étendu sur son lit, il dort. Il a ce calme 12
Qui, parmi des douceurs de couronne et de palme, 12
Donne parfois aux morts des visages d'élus. 12
5 Il dort. Et j'ai senti monter le froid du pôle 12
En me penchant sur lui couché dans l'oreiller. 12
Et je l'ai secoué doucement par l'épaule, 12
Et je songeais tout bas : « il faut vous réveiller ! 12
« N'êtes-vous pas la vie et le mouvement même ? 12
10 Tous les vôtres sont là, vos amis sont venus. 12
Venez ! Voici mes doigts qui touchent vos doigts nus. 12
Venez ! ouvrez les yeux ! Il fait bon ! On vous aime ! » 12
Vous ne répondiez pas à mes tristes sanglots. 12
Serrant, dans vos deux mains de mort, ces violettes, 12
15 Vous étiez là, gardant, sur vos lèvres muettes, 12
Le secret éternel que savaient vos yeux clos. 12
Je regardais de près votre si chère tête. 12
Quel poème couvait sous votre front glacé ? 12
Âme pure, si pure étant cette âme honnête, 12
20 Vous partez, nous laissant tout un charmant passé. 12
Vous n'avez pas senti la suprême ténèbre, 12
Vous mourez sans savoir que vous fermez les yeux. 12
Et blanc, familial, est votre lit funèbre, 12
Ainsi que dans vos vers si graves et pieux. 12
25 Vous mourez. Et la fin de notre grande guerre, 12
Vous ne la saurez pas ! Vous ne la saurez pas ! 12
Mais vous nous aurez dit jusqu'au bout : « Nos soldats 12
Reviendront glorieux, un jour, dans la lumière ! » 12
Vous mourez. Orphelins laissés à l'abandon, 12
30 Voici derrière vous la foule amère, lasse, 12
De celles et de ceux qui reçurent le don 12
D'une forte amitié que plus rien ne remplace. 12
Vous mourez ! Vous mourez !… Moi j'ai pressé si fort, 12
Dans une filiale et douloureuse étreinte, 12
35 Ma bouche de vivant sur votre front de mort, 12
Que j'en garde à jamais la glaciale empreinte. 12
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