Métrique en Ligne
DLR_6/DLR655
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
VIII
DEUILS ROUGES
MARC
Ton fils aux grands yeux noirs, il est tué, ma sœur, 12
Il est mort près de son canon, en pleine guerre. 12
Dis ! pour te consoler comment pourrions-nous faire ? 12
L'éclat qui l'a tué, toi tu l'as dans le cœur. 12
5 Il était une fleur parmi notre famille. 12
Il n'avait que vingt ans. Il était mince et beau. 12
C'est encore un enfant, presque une jeune fille 12
Que nous venons de mettre en pleurant au tombeau. 12
Enfant plein de silence et de mélancolie, 12
10 Rêveur comme un poète, ardent comme un héros, 12
Nous attendions de voir, bourgeon qui se déplie, 12
Sa vie. Et maintenant nous avons ce cœur gros. 12
Nous l'avons tous bercé quand il était aux langes, 12
Nous l'avons vu grandir, noble, promettant tout. 12
15 Il n'y a que vingt ans qu'il souriait aux anges… 12
Il n'est plus qu'un soldat au cercueil, dans un trou. 12
Ma sœur, toi qu'il aimait autant que sa patrie, 12
Tout bas, aurait-on dit, mais furieusement, 12
Toi qu'il nommait toujours « ma petite maman », 12
20 Nous faut-il assister à ta douleur qui crie ! 12
O ma sœur ! Tu l'as vu, ton petit trépassé. 12
Ses beaux grands yeux, la mort n'a pas voulu les clore. 12
Son regard de velours te caressait encore. 12
« C'était si bon, nous as-tu dit, de l'embrasser. » 12
25 O ma sœur ! Il est mort, le fruit de tes entrailles. 12
Mais souviens-toi, malgré l'amertume des pleurs 12
Souviens-toi du rêveur amoureux des batailles, 12
Et que, sur ce cercueil, brillaient les trois couleurs. 12
Quand nous aurons fini notre page d'Histoire, 12
30 Quand nous retrouverons nos anciens aspects, 12
Quand nous aurons jeté le cri de la victoire, 12
Quand régnera chez nous la glorieuse paix. 12
Alors, parmi l'éclat d'une nouvelle France, 12
Quand tu regarderas les beaux bois, les beaux blés, 12
35 Nos fleuves, nos cités sur nos fleuves bouclés, 12
Quand tu respireras en tous lieux l'espérance, 12
Aux monuments nouveaux dressé comme des lys, 12
Aux fleuves, aux moissons, à toute la patrie, 12
Tu pourras dire alors, orgueilleuse et meurtrie : 12
40 ‒ « O France, salue-moi ! Je t'ai donné mon fils ! » 12
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