Métrique en Ligne
DLR_6/DLR654
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
VIII
DEUILS ROUGES
ÉLÉGIE DOUBLE
A ma sœur Madame D. Béchamp.
S'il ne nous parvient pas, le grand cri des garçons 12
Blessés dans l'immense bataille, 8
Nous savons que, partis en redressant la taille, 12
Ils reviennent réduits à d'étranges trancçons, 12
5 Car la guerre a, là-bas, cent sortes de façons 12
De leur imposer son entaille. 8
Leur part de chair humaine, ils l'ont apportée, eux, 12
A la dévorante patrie. 8
Toi, tes deux fils si beaux, tes fils, ma sœur chérie, 12
10 Ils te sont revenus, tes fils, avec leurs yeux. 12
Avec jambes et bras et sans bouche qui crie, 12
Entiers, oui, mais morts tous les deux. 8
Le premier défendait la France maternelle, 12
L'autre pour la Serbie est mort. 8
15 Chacun d'eux fut pensif à sa manière, et fort. 12
Leur âme de vingt ans qui contenait en elle 12
Tant de science, d'art et de constant effort, 12
S'est close comme une grande aile. 8
Tes fils, tes deux soldats rêveurs et sans galon, 12
20 Héros au cœur grave d'apôtre, 8
La mort les a voulu séparer l'un de l'autre. 12
Dans le gris de la Marne et le bleu de Toulon, 12
Au creux profond d'un lit plus étroit que le nôtre, 12
Ils sont couchée de tout leur long. 8
25 Le tombeau, dirait-on, leur rend un peu d'enfance. 12
Ils semblent t'appeler : ^Maman ?… » 8
Et toi, pour les bercer alternativement, 12
Il te faut traverser toute la longue France. 12
Les hasards de la mort ont joint cette souffrance 12
30 A ton indicible tourment. 8
Tu vas, viens… Te voici, toi qui n'étais que veuve, 12
Orpheline de ces petits. 8
Tout le malheur du monde, en vérité, l'abreuve. 12
Alors, sentant qu'ils sont séparés et partis, 12
35 Tu leur fais ce présent, avec des soins gentils, 12
D'une double couronne neuve. 8
Ils ont chacun la leur, sur la croix de bois plat 12
Où leur nom est peint au bitume. 8
Ainsi les réunit ta tendresse posthume. 12
40 Quand ils étaient petits, c'était comme cela. 12
Leur couronne est pareille… Hélas ! En ce temps-là 12
Ils portaient le même costume. 8
Deux couronnes au vent… Quel destin fut le leur ! 12
Épouvante et métamorphoses ! 8
45 Deux couronnes au vent, violettes ou roses, 12
Remplacent désormais tes deux garçons, ma sœur. 12
Moi je pleure, je pleure en songeant à ces choses 12
Faites pour déchirer le cœur. 8
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