Métrique en Ligne
DLR_6/DLR613
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
VI
PROPHÉTIQUES
TÉNÈBRES
Des lamentations pieuses et célèbres 12
Remplissaient cette église où pendait maint pli noir 12
D'un archaïque désespoir, 8
Et l'impie était là, chantant aussi Ténèbres. 12
5 Fou de vivre, mon cœur a des cris plus vaillants ; 12
mais si je sanglotais, la tête dans ma paume, 12
C'est à cause de vous, croyants 8
Qui n'avez pas compris ce qu'est votre royaume. 12
Je pleurais parce que, faibles, mesquins, mal nés, 12
10 Vous vivez bassement, sans regard vers l'issue. 12
Chrétiens, humanité déçue, 8
Pouvez-vous n'avoir pas des yeux illuminés ? 12
Vous osez donc encor sentir votre souffrance, 12
Alors que Dieu s'est mis en croix pour la guérir ? 12
15 Vos pleurs n'auraient-ils pu tarir 8
Alors qu'on vous donnait la plus ivre espérance ? 12
Vous êtes plus méchants et plus tristes que nous 12
Qui ne caressons pas vos sublimes chimères, 12
Et vos faces restent amères, 8
20 Vous qui pouvez prier et croire à deux genoux ! 12
Après la passion en vous a promis Pâques. 12
Pourtant la joie en vous ne ressuscite pas. 12
Chrétiens, comme vos fronts sont bas ! 8
Futurs corps glorieux, que vos cœurs sont opaques ! 12
25 Avec de tels ferments déposés dans ce cœur, 12
Pourquoi n'êtes-vous pas dès ici-bas l'élite ? 12
Ah ! De quel flamboyant bonheur 8
Vivrait, si j'étais vous, mon âme carmélite ! 12
Nous qui n'aimons, prions, voulons que la beauté, 12
30 Quelque soit le sommet où sa tour est bâtie, 12
Nous goûtons la divinité 8
Plus que vous qui baisez bouche à bouche l'hostie. 12
Vous n'avez, on dirait, ni d'espoirs ni d'effrois. 12
Or votre Éternel dit à ceux de votre souche : 12
35 « Vous qui n'êtes ni chauds ni froids, 8
Voici que je voudrais vous vomir de ma bouche ! » 12
Vous allez vers le ciel comme vers le néant ! 12
Pourquoi ne voit-on pas, si vous êtes l'Église, 12
Joyeux, chantant, prêchant, béant, 8
40 Vivre en chacun de vous un saint François d'Assise ? 12
Jésus a soif ! Et vous, vous lui donnez cela ! 12
Le vinaigre et le fiel sont toujours sur ses lèvres. 12
Vos soifs à vous sont donc si mièvres 8
Que vous vous détournez en buvant l'Au-delà ? 12
45 Jésus a dit : « Il faut pour ceux-là que je meure ! » 12
Et vos jours sont restés plus sombres que des nuits. 12
Ployés sous vos aigres ennuis, 8
Vous n'êtes pas la race ivre et supérieure. 12
Après l'enseignement, après la Passion, 12
50 Vous n'êtes pas heureux… Ah ! Ténèbres ! Ténèbres !… 12
Le feu qui court dans mes vertèbres 8
S'éteint, chrétiens, parmi votre consomption. 12
C'est ainsi ! L'incroyante est pleine de scandale, 12
O vous, fades pleureurs à qui tout fut donné, 12
55 Et demande au ciel de tonner 8
Pour vous détruire à tout jamais, engeance pâle ! 12
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