V |
ARRIÈRES-SAISONS |
A RAPHAËL SCHWARTZ |
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Est-ce la vérité qu'avec un peu de terre |
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Vous avez fait surgir mon double inquiétant ? |
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Voici donc ma statue et tout ce qui l'attend, |
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Car avec elle est né son destin de mystère. |
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Prête splendidement pour le bronze futur, |
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Prisonnière du rythme où vous l'avez campée, |
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Quel sera l'avenir de l'insigne poupée, |
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Œuvre d'un ébauchoir enthousiaste et pur ? |
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Ainsi mon corps drapé qui marche, mon visage, |
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Mes mains de berger grec, mes deux petits pieds nus, |
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Et mon large regard plein de cale et d'orage, |
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Sous vas patients doigts lentement sont venus. |
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Ma statue ! Elle est là, debout. Je la regarde, |
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Cette fragilité faite tout comme moi. |
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Elle vivra pourtant bien après moi. Hagarde, |
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Je tremble, en y songeant, d'un pathétique émoi. |
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L'éternelle santé, l'éternelle jeunesse |
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La fixent pour toujours, et moi je vieillirai. |
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Elle est le témoin vrai de mon âge doré. |
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Un jour s'affirmera mon triste droit d'aînesse. |
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Sont-ce vraiment mes yeux et ma bouche et mon nez, |
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Sont-ce mes mains, mes pieds ? Est-ce mon attitude, |
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Est-ce mon dur orgueil, ma sombre quiétude |
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Qu'étudieront tant d'yeux encor loin d'être nés ? |
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Nous voici tout vivants. Votre œuvre, là, s'élève, |
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Neuve, et si chaude encor du travail de vos doigts, |
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Fille de mon grand rêve et de votre grand rêve… |
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Et ceux des temps futurs penseront : autrefois. |
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Ils diront : « Elle fut une femme célèbre ! » |
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Ce ne sera que moi présente, cependant. |
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Ils ne sentiront pas battre mon cœur ardent. |
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Mon simple cœur humain sous le bronze funèbre. |
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Faut-il que l'art survive à la réalité |
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Moi qui suis un esprit je deviendrai poussière, |
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Et cette image-ci qui n'est qu'un peu de terre |
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Va triomphalement vers l'immortalité. |
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