Métrique en Ligne
DLR_6/DLR590
Lucie DELARUE-MARDRUS
SOUFFLES DE TEMPÊTE
1918
IV
CHEVAUX DE LA MER
QUATRE POÈMES DE MER
I
Les jours de mauvais temps, le long du sable amer, 12
Alors que l'horizon est plus dur qu'une barre, 12
Comme une barque au port qui tire sur l'amarre, 12
Mon âme veut prendre la mer. 8
5 Je ne puis m'attarder aux algues dans l'écume, 12
Aux coquillages peints sur le sable aplani, 12
Car je cherche, inquiète, et j'appelle et je hume 12
Le fantôme de l'infini. 8
Le soir vient, allumant le phare et la bouée, 12
10 Étoiles de couleur qui dansent dans le noir. 12
Moi je reste, attendant je ne sais quoi, noyée 12
Dans je ne sais quel désespoir. 8
II
J'aime toujours revoir l'estuaire, ses eaux 12
Hybrides où la mer au fleuve se mélange. 12
15 C'est là que j'ai senti naître et grandir ce ange 12
Qui, jusques à ma mort, tourmentera mes os. 12
Je porte au fond de moi l'estuaire complexe, 12
Son eau douce mêlée à tant de sel amer. 12
Quelque chose, en mon âme à tout jamais perplexe, 12
20 A fini d'être fleuve et n'est pas encor mer. 12
III
Même par les jours bleus d'un calme décevant, 12
Ces arbres noirs, frappés, crispés sur les falaises, 12
Ont gardé la forme du vent 8
Qui les tordit du fond des tempêtes mauvaises. 12
25 Je sens que mon esprit, enfant de mer comme eux, 12
Même parmi le calme a gardé sans sa forme 12
Le souvenir du vent énorme 8
Qui le fit à jamais étrange et furieux. 12
IV
Les jours qu'un sombre esprit m'habite et me tourmente, 12
30 Seul le large m'accueille et me comprend un peu. 12
C'est pourquoi je m'en vais, amoureuse d'un dieu. 12
M'asseoir devant la mer démente. 8
Je regarde le flot qui, bouillonnant et froid, 12
Ne cesse de bondir et de gronder sans cause. 12
35 Je dis : « Moi qui ne suis qu'une si mince chose, 12
Je suis aussi grande que toi ! » 8
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