Métrique en Ligne
DLR_5/DLR549
Lucie Delarue-Mardrus
PAR VENTS ET MARÉES
1910
CHEZ NOUS
DÉBORDEMENT
Notre Seine si patiente entre ces murs 12
Où, de jour et de nuit, tu vas, étroite et jaune, 12
Qui te donne aujourd'hui, pour des destins obscurs, 12
Le furieux élan de ton frère le Rhône ? 12
5 Nous entendons d'ici ton grand flot débordé, 12
Toi, toi qu'étreint Paris sans que tu t'en émeuves ! 12
Saisis de peur, nous nous penchons à regarder 12
Ces tourbillons qui sont la colère des fleuves. 12
Quel mauvais temps, quelle injustice de l'hiver 12
10 Harcela ta douceur jour à jour, goutte à goutte, 12
Pour qu'ainsi, brusquement, ton eau se gonfle toute 12
Avant de se jeter au néant de la mer ? 12
Nous pensons à ta source, au filet clair que bleute 12
Le ciel, et qui tiendrait dans le creux d'une main. 12
15 Faut-il, Seine, qu'au long de l'éternel chemin 12
Tu coures maintenant avec ce bruit d'émeute ! 12
Que vas-tu faire de tes ponts, quais, berges, bords, 12
Grande eau fâchée, envahissante, et qui veux mordre ? 12
Toi si docile hier et qui n'est plus dans l'ordre, 12
20 Quels dégâts suffiront à ta rage, et quels morts ? 12
Nous songeons. Nous disons : « Cette Seine est pareille 12
A la foule qui va comme un flot innocent 12
Et qui soudain, un jour, rebelle, se réveille 12
Et déborde, et se change en un fleuve de sang. 12
25 Tourbillons, révolutions, cris, meurtres, haines, 12
La fin de tout ! L'ancien monde est démoli ! » 12
Que non ! Le peuple en rage est comme cette Seine 12
Oui rentrera demain, tranquille, dans son lit. 12
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