Métrique en Ligne
DLR_5/DLR495
Lucie Delarue-Mardrus
PAR VENTS ET MARÉES
1910
LA PASSION
DISCOURS POUR UNE VIERGE
Jeune fille, salut ! Ton oreille est plus rouge 12
Que ta petite bouche en fleur. 8
Intacte, indubitable et royale fraîcheur, 12
Féminité fermée où pas un nerf ne bouge, 12
5 Tes flancs sont mûrs pour leur devoir d'éternité, 12
Mais tu n'as pas encor pâli d'une parole 12
D'amour ; nul souffle errant n'effleura ta corolle, 12
Grand lys qu'aucun pollen encor n'a visité. 12
Urne scellée, humble petite, pathétique 12
10 De toute la candeur de ton œil ignorant, 12
Sois vouée à l'amour qui renverse et qui prend 12
Le cœur clos de la vierge et son corps hermétique. 12
Tu ne sais pas l'orgueil de subir un amant, 12
De gémir sous sa force ardente qui vous plie. 12
15 Pourtant n'es-tu pas femme aussi, monstre charmant, 12
O vierge ! inquiétante et douce anomalie ? 12
Tu portes sans savoir, parmi les plis peureux 12
Des robes, ne pouvant toi-même te connaître, 12
Le vide sensuel ou glacé de ton être. 12
20 Tu ne sens pas en cor comme ton corps est creux. 12
Et tu portes aussi sans soupçonner ses rêves 12
Ton cœur encor léger qui pèsera si lourd, 12
Ton cœur où ne sont pas entrés les quatre glaives 12
Invisibles : désir, haine, douleur, amour. 12
25 Cependant tu seras à ton tour poignardée 12
Dans ton âme innocente et ta candide-chair, 12
Et tu te sentiras à jamais possédée 12
Par l'homme, esclave et maître, ennemi, mais si cher 12
Je te regarde au seuil de l'enfance achevée, 12
30 Jeunesse sans histoire encor, transition ! 12
Mais je sais qu'en toi guette, endormie et lovée, 12
La bête du plaisir et de la passion. 12
Te voici, dangereuse à-la fois et si pure, 12
O petit sphinx charnel, ô petit sphinx mental ! 12
35 Te voici : salut donc à toi, femme future 12
A qui l'amour fera tant de bien et de mal. 12
Salut, salut à toi dont l'oreille est plus rouge 12
Que ta petite bouche en fleur, 8
Intacte, indubitable et royale fraîcheur, 12
40 Féminité fermée où pas un nerf ne bouge ! 12
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