Métrique en Ligne
DLR_5/DLR494
Lucie Delarue-Mardrus
PAR VENTS ET MARÉES
1910
LA PASSION
CHANT DE LA PASSION
Le Christ en croix avec des clous dans ses deux paumes, 12
Avec des clous dans ses deux pieds. 8
Ses yeux de mendiant promettent des royaumes 12
A ses dernières amitiés. 8
5 Sa mère doucement repose, évanouie 12
Dans les bras désolés de Jean. 8
Madeleine est debout, toison épanouie, 12
Ses cheveux sont d'or et d'argent. 8
Madeleine est debout, blanche et la gorge haute, 12
10 Le corps fier, le chef orgueilleux. 8
Elle palpite encor de la multiple faute, 12
Ses cils font la nuit sur ses yeux. 8
La pécheresse et Dieu, l'un en face de l'autre, 12
Sont ainsi sur le Golgotha, 8
15 Et Madeleine dit : « Maître, vois ton état ! 12
Vois ta mère et vois ton apôtre ! 8
« Ils succombent au poids de leurs propres douleurs, 12
Négligeant la suprême tienne. 8
Si moi seule, debout, je t'assiste sans pleurs, 12
20 C'est que je ne suis pas chrétienne. 8
« Tous les tiens se noieront dans ce tiède chagrin, 12
Car, à cause de toi, leur âme 8
Sera faible en dessous des cilices de crin, 12
O Jésus, ô fils de la Femme ! 8
25 « Tu meurs sans avoir su ce qu'était le bonheur, 12
La joie ici-bas, seule vraie. 8
Sur tes sillons humains, ô morose semeur, 12
Croît la tristesse, cette ivraie. 8
« Moi, j'avais sur tes pieds répandu mon parfum, 12
30 Croyant t'embaumer jusqu'à l'âme. 8
Mais t'essuyant avec mes cheveux chauds de femme, 12
Je n'ai fait qu'un geste importun. 8
« Car tu n'as pas compris que l'essence coûteuse 12
Et le frisson de mes cheveux, 8
35 C'était l'enseignement de la chair amoureuse, 12
L a leçon de la Vie aux Dieux. 8
« Il est plus de mystère, il est plus de musique 12
Parmi les choses d'ici-bas, 8
Il est plus d'inconnu dont on n'approche pas 12
40 Que dans ton ciel métaphysique. 8
« Or, Madeleine, l'amoureuse que voilà, 12
T'enseigne, ô moribond farouche ! 8
Apprends d'elle aujourd'hui comment tout l'Au-delà 12
Tient dans un baiser sur la bouche ! » 8
45 Madeleine, étreignant le Christ assassiné, 12
Dont la face se désespère, 8
Mord sa bouche qui crie : « O mon Père, mon Père, 12
Vous m'avez donc abandonné ? » 8
Et Madeleine dit : « Ineffable victime 12
50 De mes lèvres rouges d'émoi, 8
Les femmes à venir feront toutes Je crime 12
De t'aimer d'amour comme moi. 8
« Chacune, ô doux, ô blond, voudra de ton haleine, 12
Et quand elle priera, la nuit, 8
55 Elle ne saura pas qu'elle est la Madeleine 12
Éprise du Dieu qu'elle suit. 8
« Pourquoi t'être penché vers une courtisane, 12
Emmanuel, toi que j'aimais ? 8
Tout ton enseignement, sous mon souffle profane, 12
60 Défaille d'amour à jamais. 8
« Sur la ruine des sens ta morale est bâtie, 12
Mais lu n'as pas prévu la fin, 8
Toi qui n'as pas prévu le baiser de l'hostie 12
Dont tant de bouches auront faim. 8
65 « Tu croyais n'avoir fait qu'une pure promesse 12
De paradis après la mort ; 8
Mais voici reparaître au travers de la messe 12
Mon parfum et mes cheveux d'or. 8
« Regarde s'élever sous ta pauvre truelle, 12
70 Édifice riche et brillant, 8
Une belle maison mystique et sensuelle, 12
Parfumée aux grains d'Orient. 8
« L'horizon, hérissé déjà de cathédrales, 12
Remplit tes yeux mourants d'effroi. 8
75 O Rabin ! Je t'entends qui te plains et qui râles : 12
Peut-être as-tu perdu ta foi ! 8
« Meurs ! Tout mon parfum reste à travers ton histoire ! 12
O toi que ne me craignais point, 8
Mes cheveux sont dans ta doctrine, et c'est ma gloire 12
80 De t'avoir à tout jamais oint. 8
« Meurs ! Écoute, en dépit de ta parole austère, 12
Autour de ta croix, follement, 8
Crier vers toi l'Amour, revanche de la terre, 12
O Jésus ! éternel amant ! » 8
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