AU PORT |
LE POÈME DE L’ESTUAIRE |
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Mon beau pays m’a dit quand je suis revenue : |
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— Je te reconnais bien, visage qui souris. |
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Tu t’avances, ce soir, longeant mon fleuve gris |
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Dont s’évase, devant la mer, l’ample avenue. |
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D’où viens-tu donc ? Tes horizons glauques et bleus |
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Te voient rentrer bien tard, avec d’autres années |
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Dans l’âme, des soleils différents dans les yeux, |
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Sur ta bouche le sel des Méditerranées. |
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N’as-tu pas réchauffé ton visage et tes mains |
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A la molle douceur des chaleurs étrangères, |
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Entre tes doigts porté d’exotiques fougères |
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Et marqué de tes pas les sables sans chemins ? |
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N’as-tu pas rejeté tes premières bruines |
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Avec la pomme de tes prés mouillés de mer, |
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Pour mordre de tes dents neustriennes la chair |
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Tragique, violente et rouge des sanguines ? |
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Regarde maintenant : cette mer devant toi. |
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Derrière toi ce fleuve, à tes côtés ces rives |
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T’environnent sans bruit comme un reproche froid. |
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Se demandant pourquoi, ce soir, tu leur arrives. |
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Qu ’as-tu fait du pays intérieur, celui |
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Qui dans ton âme était l'image de ces choses ? |
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Qu’as-tu donc respiré ; quelles charnelles roses. |
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Puisque, dans ton regard, ce feu sombre reluit ? |
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Ici, le monde est demeuré couleur d’opale. |
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Le sol devient la vase et la vase la mer, |
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Le fleuve se fait mer, la mer se fait ciel pâle. |
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Tout s’épouse, se fond, se reflète et se perd. |
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Et dans cet infini troublé, sirène grise |
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Aux pathétiques yeux changeants. Pâme du Nord |
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Demeure à tout jamais ensevelie et prise, |
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El, parmi ses lueurs écailleuses, se tord. |
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Qu’as-tu fait de ton seul aïeul Hamlet, le prince |
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Ironique, vêtu de deuil et de pâleur ? |
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Ton pays ne veut point qu’aucun autre l’évince. |
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Qu’as-tu fait de Thulé, qu’as-tu fait d’Elseneur ? |
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Vois ton passé venir à toi sur cette barque |
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Couleur de feuille sèche, et debout au beaupré. |
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Il traîne en replis noirs son manteau de monarque |
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Sur ton originel paysage navré. |
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Pour toi seule, frôlant mouettes et bouées, |
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Par vases, par ciel pâle et par eau grise, il vient |
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Sous l’envergure au vent des voiles secouées, |
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Rapportant dans ses mains le cœur qui fut le tien. |
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Tout l’estuaire d’autrefois, couleur de pieuvre. |
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Te salue avec lui. Réponds à ce salut ! |
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Que vas-tu dire, ô toi, jeune visage élu. |
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Ace silence, autour de ton front, mis en œuvre ? |
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Et sans paroles, j’ai, dans le soir trouble et froid. |
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Dit en pleurant d’obéissance et de tristesse : |
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— « J’atteste, ô mon pays, d’un sanglot qui me blesse, |
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Que je n’aime, n’aimais et n’aimerai que toi. » |
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