Métrique en Ligne
DLR_4/DLR428
Lucie DELARUE-MARDRUS
LA FIGURE DE PROUE
1908
LE DÉSERT
ODE FUNÈBRE
A la mémoire d'Isabelle Eberhardt.
Il faudrait les tambours des grandes chevauchées 12
Ou l’innocent roseau qui s’enroue au désert… 12
Mais honorer ta fin de mes seuls yeux amers 12
Qui pleureront le long des routes desséchées ! 12
5 Mais t’attendre, malgré la mort, à des tournants, 12
Quand les nuits sont, au Sud, de palmes et d’étoiles. 12
Quand les parfums des oasis sont dans nos moelles 12
Et que l’Islam circule en ses manteaux traînants ! 12
Te regretter, alors que je ne t’ai point vue. 12
10 Au moment où mes mains allaient prendre tes mains, 12
Me heurter, moi vivante, à toi, tombe imprévue, 12
Sans avoir échangé le regard des humains ! 12
Je pense à toi, je pense h toi dans les soirs roses, 12
Jeune femme, ma sœur, jeune morte, ma sœur ! 12
15 Tu me parles parmi l'éloquence des choses, 12
Et ta voix, ô vivante, est pleine de douceur. 12
Salut à toi, dans la douleur de la lumière 12
Où tu vécus d’ivresse et de fatalité ! 12
Le désert est moins grand que ton âme plénière 12
20 Qui se dédia toute à son immensité. 12
Toi qui n’étais pas lasse encore d’être libre. 12
D’avoir tant possédé tout ce que nous voulons. 12
Ni que toute beauté frissonnât partes libres 12
Comme un chant magistral traverse un violon. 12
25 Pourquoi la mort si tôt t’arrache-t-elle au monde. 12
Ne nous laissant plus rien que l’admiration. 12
Alors qu’il te restait encore, ô vagabonde, 12
A courir tant de risque et tant de passion ? 12
Tout se tait. La bêtise immense et l'injustice 12
30 Qui te regardaient vivre avec leurs yeux si gros. 12
Ne te poursuivront plus, au milieu de la lice. 12
Du hideux cri de mort qui s’attache aux héros. 12
Nous irons à présent lui dire qu’il se sauve, 12
Ton cheval démonté, sus aux quatre horizons. 12
35 Pour apprendre ta fin subite au néant fauve 12
Des Saharas sans bruit, sans forme, sans saisons. 12
Car toi tu dors, enfin parvenue au mystère 12
Que ton être anxieux cherchait toujours plus loin, 12
Enveloppée aux plis éternels de la terre. 12
40 Comme dans la douceur d’un manteau bédouin. 12
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