LA MORT |
COLLOQUE |
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La mort m'a dit : « Poète, i l est temps ! Si tu veux, |
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» Doucement je mettrai mes doigts sur tes paupières, |
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» Et tu t'endormiras dans la pleine lumière, |
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» Avant d'avoir perdu le souvenir des dieux. |
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» Ainsi, devançant l'heure où les êtres se couchent, |
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» J'offre à ta jeune vie un émouvant destin ; |
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» Car je vais, d'un ciseau funèbre et clandestin, |
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» En pleine passion sculpter ta belle bouche. |
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» Je suis douce. Mon lit est mol, ample, profond ; |
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» Dans mon parterre en fleurs un beau soleil se joue. |
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» La place est déjà creuse où tes cendres seront, |
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» Je sens déjà fleurir mes roses dans tes joues. » |
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— Mais moi j'ai dit : « Je veux rester encore un peu |
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» A l'étroit de mon corps païen, près de mon âtre. |
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» Car j'aime le luth courbe et l'amphore d'albâtre |
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» De ma forme, et mon front natté de petit dieu. |
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» Car j'aime mon esprit ivre de solitude, |
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» Tout le mal qui m'est fait, tout le mal que je fais, |
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» La joie et la douleur, le plaisir et l'étude, |
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» Et le Pour, et le Contre, et la Cause et l'Effet. |
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» J'aime… J'aime !… Je veux munir aux paysages, |
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» Je veux la nuit, je veux le vent, je veux la mer, |
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» Et baiser tour à tour sur leurs quatre visages |
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» Les exactes saisons au regard sombre ou clair. |
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» J'aime… J'aime !… Je veux la musique des lignes, |
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» L'océan des regards, tout le parfum, l'émoi |
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» Des soirs, et la douceur flexible autour de moi |
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» Des purs bras féminins pareils aux cous des cygnes. |
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» J'aime… J'aime !… Je veux à l'heure où meurt le jour, |
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» Sentir mon front brûler mes paumes insensées, |
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» Et, séraphiquement, nourrir dans ma pensée |
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» Pleine d'astres, l'effroi d'éternelles amours. » |
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— Elle m'a dit : « Il faut mourir avant la honte |
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» De vieillir dans ta chair et ta pensée. Il faut |
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» Tomber, chantant encor, comme Orphée et Sapho, |
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» Quand ton désir de tout t'accable et te surmonte. |
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» Je te délivrerai du doute de ton cœur. |
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» Tu seras dans la terre ainsi qu'une semence, |
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» Tu sauras tout ce qui finit et recommence, |
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» Tu connaîtras l'Après dont les vivants ont peur. » |
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— J'ai dit : « La fin hâtive est un destin qu'on vante, |
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» Mais je renonce à son prestige funéral. |
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» Car l'horreur de vieillir est encore vivante, |
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» Et je crains mon néant encor plus que mon mal. |
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» J'ai peur de ne plus rien connaître dans ta fosse ! |
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» A quiconque est passé, qu'importe l'Avenir ? |
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» La vie a beau durer, ma sensation fausse |
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» Dit vrai : Le monde meurt de mon dernier soupir. |
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» Si loin qu'on se souvienne et si longtemps qu'on pleure, |
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» Quels longs regrets vaudront jamais mon cœur battant ? |
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» La mort ! La mort ! Recule encor ma dernière heure, |
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» Laisse-moi vivre pour t'aimer. Je t'aime tant ! |
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» Partout se dresse en moi ta suprême pensée. |
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» C'est toi qu'en toute chose étreint ma passion. |
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» L'amour même me montre, aux faces renversées |
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» Des femmes, ta tragique et pure expression. |
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» Sans toi rien ne me plaît, sans toi rien ne m'étonne : |
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» Rythmes, parfums, couleurs, paroles ou contours |
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» Te doivent le trésor de ne durer qu'un jour, |
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» C'est ton enchantement qui ravage l'automne. |
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» Ah ! je te cherche dans l'automne ! Les chemins |
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» Abandonnés me voient étreindre l'or d'octobre, |
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» Et c'est toi seule, amante austère, ardente et sobre, |
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» Qui craques toute avec les feuilles dans mes mains. |
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» Tu ne trouveras pas d'âme plus amoureuse |
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», Que la mienne, d'amant plus grave et plus hardi. |
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» Qui, saurait comme moi t'aimer, Mystérieuse, |
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» Seule inconnue, ô toi qui n'as encor rien dit ?… » |
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— Elle a repris : « Regarde encor mon spectre insigne, |
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» Car je m'éloigne avec un doigt contre les dents. |
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» T'impose-je silence ou bien te fais-je signe ? • |
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» Cherche le sens du geste, ironique ou prudent ! » |
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Elle a ri. Je n'ai su ce qu'elle voulait dire. |
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J'ai vu derrière moi s'effacer son contour. |
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Est-elle absente pour cent ans ou pour un jour ? |
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Suis-je dans son oubli ? Suis-je son point de mire ? |
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Gomme jadis, la route est offerte à mes pas, |
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Mon être audacieux pense, aime, rit et pleure… |
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Est-ce un commencement ? Est-ce une dernière heure ? |
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Je ne sais pas… Je ne sais pas… Je ne sais pas. |
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