PRONES I |
CAÏN PARLE… |
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Caïn parle les nuits en ma pensée. Il dit : |
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‒ « J'aimais mon frère ! Au soir il passait sur la plaine, |
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Plus candide et plus doux que ses agneaux de laine. |
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Je l'aimais dans mon cœur, mais non dans mon esprit. |
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» Car mon esprit planait, hors ma chair bestiale, |
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Au-dessus de mon frère, au-dessus des troupeaux ! |
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Et lorsque nous marchions, forts, également beaux, |
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Velus du même poil, dorés du même hâle, |
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» Je songeais « L'un et l'autre, et dès que le jour luit, |
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» Nous donnons notre force à la journée active ; |
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» Mais, comme si j'étais une bête rétive, |
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» Le Père ne veut point ma face devant Lui. |
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» Il nous a cependant tirés des mêmes boues ! |
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» Et moi je ne me sens coupable d'aucun tort, |
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» Pour qu'ainsi son dédain fasse brûler mes joues !… » |
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‒ Et je suis devenu l'inventeur de la mort. |
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» Honte ! cette leçon sanglante de justice, |
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Moi, faible, je te l'ai donnée, ô Créateur ! |
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Que n'ai-je mis plutôt la hache dans mon cœur, |
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Que d'avoir vu pleurer Ève ma génitrice ! |
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» Du flot de sang sorti de mon geste assassin, |
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J'ai rougi pour jamais la création fruste. |
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Et tout frère pensif et doué d'âme juste |
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Répétera l'orgueil premier de mon dessein. |
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» Ah ! faut-il que ma voix éternelle défende |
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Toujours, contre l'horreur de l'éternel Pouvoir, |
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Ceux qui, comme Caïn suants de bon vouloir, |
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Usent en vain leurs bras lourds de peine et d'offrande ! » |
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‒ Ainsi parle, les nuits, le premier criminel, |
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Et sur sa face sont ses deux mains empourprées, |
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Et je vois, lentement, ses tristesses pleurées |
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Ruisseler dans ses doigts pleins de sang fraternel. |
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