Métrique en Ligne
DLR_2/DLR162
Lucie DELARUE-MARDRUS
FERVEUR
1902
PRONES I
CONSEIL
Ami, ne versons pas de douces larmes chaudes 12
parce que sous nos yeux défilent les troupeaux. 12
Oublions la laideur des gestes et des mots 12
Et ce vomissement de blâmes et de laudes. 12
5 Je te l'enseignerai : nos pleurs sont beaux mais vains ; 12
Nous n'arracherons pas la langue de la foule, 12
Et nous n'apprendrons pas à sa charnelle houle, 12
Le sens du royal rire et des sanglots divins. 12
Et quand nous jetterions nos regards en arrière, 12
10 La médiocrité n'ouvrirait pas pour nous 12
Son pacage où l'on broute, en traînant des licous, 12
L'herbe sèche de l'existence coutumière… 12
Qu'il en soit donc ainsi ! Vigoureux et sereins, 12
Liés au chariot de notre tâche haute, 12
15 Montons la vie ainsi qu'un cheval une côte, 12
Le cou gonflé de force et la sueur aux reins. 12
Et si, des soirs, ainsi que ce soir, le prestige 12
D'être isolés et fiers sombre dans notre cœur, 12
Si, penchés sur ses bords, notre propre hauteur 12
20 Nous traverse soudain d'un frisson de vertige, 12
Demain nous chanterons d'orgueil renouvelé 12
Sachant qu'en nos cerveaux éclata par avance 12
Cette graine inouïe où l'avenir immense 12
Dort peut-être, attendant d'être enfin descellé, 12
25 Que le gland vert demeure encore dans sa gaine 12
Parmi la foule ainsi qu'en un mauvais labour, 12
Tandis qu'en nous déjà se balance le chêne 12
Ivre de ciel, de chants d'oiseaux et de grand jour. 12
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