SCENE I
LE POÈTE,
LE SURVEILLANT,
LE CHŒUR DES OUVRIERS
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LE CHŒUR |
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Nous travaillons pour le salaire, |
8 |
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Mais le but nous importe peu : |
8 |
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Avril vient, la mer est en feu, |
8 |
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Nous travaillons pour le salaire. |
8 |
5 |
Si nous peinons, si nous souffrons, |
8 |
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C'est qu'il faut donner à la terre |
8 |
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L'éternelle sueur des fronts. |
8 |
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Nous travaillons pour le salaire, |
8 |
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Mais que nous importe le but ? |
8 |
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LE POÈTE |
10 |
L'air brûlant vibre comme un luth. |
8 |
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Une mer plus calme et plus claire |
8 |
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Semble s'approfondir aux cieux ; |
8 |
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Ils travaillent, insoucieux |
8 |
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De cette magnifique terre |
8 |
15 |
Et de son trésor ténébreux… |
8 |
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Ils travaillent, insoucieux |
8 |
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Des morts qui dorment dans tes tombes, |
8 |
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Carthage, ville des colombes ! |
8 |
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LE SURVEILLANT DES FOUILLES |
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Notre fouille s'annonce bien ; |
8 |
20 |
Nous enrichirons nos vitrines |
8 |
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De joyaux, d'urnes, de terrines |
8 |
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Et de verre phénicien, |
8 |
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Car aujourd'hui le sarcophage |
8 |
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Est de la plus riche Carthage… |
8 |
25 |
Travaillons tous, petits et grands, |
8 |
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Travaillons ! la terre est féconde : |
8 |
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Nous voulons étonner le monde |
8 |
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Par nos efforts persévérants. |
8 |
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LE POÈTE, à part.
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Aucun d'eux n'est tremblant devant ce sarcophage. |
12 |
30 |
Lequel d'entre eux, en vérité, songe à Carthage ? |
12 |
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LE SURVEILLANT, au chœur. |
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Mes amis, dites-moi, qui donc est celui-ci ? |
12 |
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UN OUVRIER |
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C'est un homme qui vient depuis trois jours ici : |
12 |
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Près de la mer, le long de l'orge, il se promène, |
12 |
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Puis il revient nous voir travailler. |
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LE SURVEILLANT |
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Puis il revient nous voir travailler. Qui l'amène ? |
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L'OUVRIER |
35 |
On ne sait. Il connaît les choses mieux que nous : |
12 |
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Il a lu l'autre soir une pierre, à genoux, |
12 |
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Et nous a raconté ce qu'elle voulait dire. |
12 |
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LE SURVEILLANT |
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C'est un savant, probablement, puisqu'il sait lire |
12 |
|
Et déchiffrer le sens de nos inscriptions. |
12 |
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LE CHŒUR |
40 |
Le voici sur le bord des excavations. |
12 |
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LE SURVEILLANT |
(allant au poète) |
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Je suis le surveillant. |
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(montrant la fouille) |
|
Je suis le surveillant. Ceci vous intéresse ? |
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LE POÈTE, saluant. |
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Beaucoup. J'ai déjà vu bien des fouilles ; en Grèce, |
12 |
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Ailleurs… |
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LE SURVEILLANT |
|
Ailleurs… Et vous lisez nos pierres, paraît-il ? |
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LE POÈTE |
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Oui' j'aime le passé. C'est un livre subtil. |
12 |
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LE SURVEILLANT |
45 |
Vous avez déjà fait des études puniques ? |
12 |
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LE POÈTE |
|
Oui — je n'en ai pas l'air ? — même de très techniques. |
12 |
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LE SURVEILLANT |
|
Oh ! je n'en doute pas ! |
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LE POÈTE |
|
Oh ! je n'en doute pas ! Vous pourriez en douter, |
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Me voyant jeune et même en très bonne santé… |
12 |
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LE SURVEILLANT |
|
Vous venez ? |
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LE POÈTE |
|
Vous venez ? De Paris. |
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|
LE SURVEILLANT, rêvant. |
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Vous venez ? De Paris. Paris… |
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LE POÈTE |
|
Vous venez ? De Paris. Paris… Autre Carthage, |
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LE SURVEILLANT |
|
Différente, pourtant ! |
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LE POÈTE |
50 |
Différente, pourtant ! Oh ! différence d'âge ! |
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LE SURVEILLANT |
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Archéologue ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Archéologue ? Non, poète. |
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|
LE SURVEILLANT, avec un recul. |
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Archéologue ? Non, poète. Et ce savoir, |
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|
D'où vient-il ? |
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LE POÈTE |
|
D'où vient-il ? Du désir de toucher et de voir. |
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LE SURVEILLANT |
|
Et vous n'aspirez pas à quelque académie ? |
12 |
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LE POÈTE |
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Toute contrainte m'est, de naissance, ennemie : |
12 |
55 |
Le maître le plus dur, c'est une ambition. |
12 |
(souriant) |
|
Mais je puis cependant lire une inscription. |
12 |
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LE CHŒUR DES OUVRIERS |
(du bord de la tombe où ils étaient descendus) |
|
Un coup de main ! à l'aide ! à l'aide ! |
8 |
|
Il fait noir comme dans un four. |
8 |
|
Le dernier pan de terre cède : |
8 |
60 |
Mettons le sarcophage à jour ! |
8 |
(On s'empresse, on tire sur les cordes.) |
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LE SURVEILLANT |
|
Tout doux ! pas de choc ! pas d'entaille ! |
8 |
|
Qu'on le soulève avec amour, |
8 |
|
Car il faut que cette trouvaille |
8 |
|
Nous donne la gloire en un jour. |
8 |
(Le sarcophage est lentement monté et posé sur le bord de la fouille, face au public et un peu obliquement.) |
|
LE POÈTE |
65 |
Voici donc la pierre funèbre |
8 |
|
Que tant de siècles tour à tour |
8 |
|
Alourdirent dans la ténèbre : |
8 |
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Salut, passé ! voici le jour ! |
8 |
(On débarrasse le sarcophage de ses cordes.) |
|
LE SURVEILLANT, ironique.
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|
Vous savez déchiffrer ?… |
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|
Vous savez déchiffrer ?… Quel nom ? et quelle époque ? |
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|
LE POÈTE, avec hauteur.
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70 |
Quoi ? vous doutez ? vous croyez donc que je me moque ? |
12 |
(Il se penche sur le sarcophage et commence à épeler l'épitaphe.) |
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LE SURVEILLANT |
|
Mais il déchiffre, il lit ! L'aurais-je jugé mal ? |
12 |
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LE POÈTE |
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C'est le nom d'une femme : Ar… Arisatbaâl. |
12 |
|
Une prêtresse… Oui, oui… L'inscription, très claire, |
12 |
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Est de quatre cents ans, je pense, avant notre ère, |
12 |
|
LE SURVEILLANT, nerveux, aux ouvriers.
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75 |
Allons ! retirez-moi ces cordes, vivement ! |
12 |
|
LE POÈTE, à part
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Belle Arisatbaâl, que dut être charmant |
12 |
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Ton visage, ô prêtresse aux mains sacerdotales ! |
12 |
|
Je voudrais sur ta mort effeuiller des pétales |
12 |
|
Et qu'un respect funèbre inclinât tous ces fronts, |
12 |
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LE SURVEILLANT |
|
Ne nous attardons pas, ouvrons ! |
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LE CHŒUR |
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Ne nous attardons pas, ouvrons ! Ouvrons ! |
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LE POÈTE |
80 |
Ne nous attardons pas, ouvrons ! Ouvrons ! Ouvrons ! |
|
|
LE CHŒUR, devant le sarcophage ouvert. |
|
Quelle richesse ! on voit briller de l'or dans l'ombre |
12 |
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LE SURVEILLANT |
|
Quelle gloire ! il y a des attributs sans nombre ! |
12 |
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LE POÈTE |
|
Quelle beauté ! je vois la morte pâle et sombre ! |
12 |
|
LE SURVEILLANT, haussant les épaules. |
|
Que dit-il ? Ce n'est rien qu'un squelette durci. |
12 |
|
LE POÈTE |
85 |
Un squelette ?… Regardez mieux ce masque-ci ! |
12 |
|
Moi, je ne vis jamais si fraîche et si parée, |
12 |
|
Dans son berceau de pierre, une morte dorée. |
12 |
|
LE CHŒUR, regardant.
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|
C'est vrai ! |
|
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LE SURVEILLANT |
|
C'est vrai ! C'est vrai ! |
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|
LE POÈTE |
|
C'est vrai ! C'est vrai ! Voyez ! on dirait qu'elle dort. |
|
(Tous regardent, penchés les uns sur les autres.) |
|
LE SURVEILLANT |
|
Quel triomphe ! cette momie est un trésor ! |
12 |
(Pendant qu'ils regardent tous, la momie, très faiblement, commence à s'agiter, puis ouvre les yeux.) |
|
LE CHŒUR, reculant terrifié.
|
90 |
Elle est vivante ! elle remue ! elle regarde ! |
12 |
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LE SURVEILLANT, fuyant.
|
|
Au secours ! tuons-là ! |
|
|
LE CHŒUR, armé de pioches, pelles, etc.
|
|
Au secours ! tuons-là ! Tuons-là ! |
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|
LE POÈTE, dressé devant eux.
|
|
Au secours ! tuons-là ! Tuons-là ! Prenez garde !… |
|
(Ils reculent devant lui, lâchant leurs armes improvisées.) |
|
Quoi ! sur elle lever de sacrilèges mains ! |
12 |
|
Allez plutôt chercher des colliers de jasmins |
12 |
|
Pour que dans les parfums la morte se réveille ! |
12 |
|
LE CHŒUR (mouvement de fuite) |
|
Nous avons peur ! |
|
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LE POÈTE |
95 |
Nous avons peur ! Vous avez peur d'une merveille ? |
|
|
Fuyez donc !… Moi, je veux, à genoux, écouter |
12 |
|
La morte qui renaît de son éternité, |
12 |
|
La poésie aidant, j'entendrai son langage. |
12 |
(La momie se redresse lentement, passe ses mains
sur ses yeux, et, assise, regarde tout autour d'elle,
arrêtant ses prunelles immenses tour à tour
sur la mer, sur la montagne aux deux cornes, sur le ciel.)
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
La mer… le mont… le ciel… Mais où donc est Carthage ? |
12 |
|
LE CHŒUR, sourdement. |
100 |
Elle parle ! elle dit d'étranges mots tout bas, |
12 |
|
D'un langage oublié que l'on ne comprend pas. |
12 |
|
LE POÈTE, se tournant vers eux.
|
|
Moi, je comprends. |
|
|
LE SURVEILLANT |
|
Moi, je comprends. Ce sont des paroles puniques. |
|
|
LE POÈTE, avec colère.
|
|
Silence ! taisez-vous, hommes prompts aux paniquepaniques !
|
12 |
|
Laissez parler en paix sa résurrection ! |
12 |
|
LE SURVEILLANT, plus bas.
|
105 |
Il va la déchiffrer comme une inscription ! |
12 |
(Tous sont groupés de loin, à demi cachés par les travaux,
prêts à fuir, curieux quand même de ce qui va se passer.
La momie a achevé de se redresser. Elle s'assied sur le bord
de son sarcophage, secoue ses bracelets, ajuste ses étoffes,
regarde autour d'elle, largement, et finit par voir le poète à
genoux près d'elle. Elle le considère un moment avec surprise.)
|
|
|
SCENE II
LES MÊMES,
LA PRÊTRESSE
|
LA PRÊTRESSE |
|
Étranger, pourrais-tu me répondre ? Une brume |
12 |
|
Est sur mon âme…» Et puis, j'ignore ton costume |
12 |
|
Et ne saurais vraiment définir d'où tu viens. |
12 |
|
N'importe ! tes yeux sont bienveillants sur les miens |
12 |
110 |
Et tu sembles rempli de respect dans ta pose… |
12 |
|
Je n'ai pas peur de toi, quelle qu'en soit la cause. |
12 |
|
Mais toi, sais-tu mon nom ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Mais toi, sais-tu mon nom ? certescerte : Arisatbaâl. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Il sait mon nom ; pourtant, il le prononce mal. |
12 |
|
Qui donc es-tu ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Qui donc es-tu ? Je suis le présent, ô passée ! |
|
|
LA PRÊTRESSE |
115 |
Que dit-il ? Sa parole est tout embarrassée. |
12 |
|
Quel est donc ton pays ? |
|
|
LE POÈTE, après avoir hésité.
|
|
Quel est donc ton pays ? Un pays inconnu. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Que contemplent tes yeux sur mon petit pied nu ? |
12 |
|
Mais laissons. J'ai longtemps dormi, je me réveille… |
12 |
(elle s'étire) |
|
Ah ! la vie en mon cœur revient comme une abeille. |
12 |
120 |
Pourtant, oui… ce sommeil m'a laissé du brouillard |
12 |
|
Dans l'âme. Explique-moi ce que voit mon regard. |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Que veux-tu donc savoir ? |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Que veux-tu donc savoir ? Je vois mon paysage, |
|
|
Mes collines, la mer, le ciel… et pas Carthage. |
12 |
(Elle désigne à mesure) |
|
Je ne me trompe point ? C'est le mont de Moloch : |
12 |
125 |
Il laboure toujours le ciel d'un double soc |
12 |
|
Et monte toujours bleu de la mer violette. |
12 |
|
Mais je n'aperçois pas la grande silhouette |
12 |
|
Sur la corne de droite et près du temple, en haut, |
12 |
|
Du dieu dévorateur à tête de taureau. |
12 |
130 |
Je vois Byrsa, je vois Echmoûn, mais ravagées. |
12 |
|
Où sont donc nos palais qui montaient par rangées |
12 |
|
Et nos noires maisons aux boules de cristal ? |
12 |
|
Je vois en bas les ports, et l'île, et le canal ; |
12 |
|
La Tœnia s'allonge entre eux comme naguère, |
12 |
135 |
Mais l'herbe y croît. Où sont le commerce et la guerre, |
12 |
|
Les halles débordant de rostres de vaisseaux, |
12 |
|
Notre marine immense et riant des assauts ? |
12 |
(Elle se lève, se hausse, se tourne avec égarement.) |
|
Où sont nos éléphants, nos chevaux, nos fourrages, |
12 |
|
Nos poudres d'or ? Où sont nos tours à quatre étages ? |
12 |
140 |
La côte est-elle encore abrupte vers Tunis ? |
12 |
|
Et les jardins de Mégara, tout blancs d'iris, |
12 |
|
Sont-ils toujours pour les puissants l'ombre et l'asile ? |
12 |
|
Patrie, oui, c'est bien toi L. Mais où donc est ma ville ? |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Elle n'est plus. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Elle n'est plus. Ah ! ah ! hélas ! sur elle, hélas ! |
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145 |
Je jetterai le cri des femmes de Hellas |
12 |
|
Sur ma ville ! Et pourtant, non ! Étranger, écoute : |
12 |
|
Mes yeux mentent ! tu mens !… oui, je ne suis, sans doute, |
12 |
|
Que le pauvre jouet d'un songe ténébreux, |
12 |
|
Carthage est toujours là, j'en atteste les dieux ! |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Elle n'est plus. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
150 |
Elle n'est plus. Tu mens. Qui donc l'aurait vaincue ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Elle n'est plus. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Elle n'est plus. Elle est, malgré ta voix qui hue ! |
|
|
Nous connais-tu ? Sais-tu ce que nos bras géants |
12 |
|
Peuvent tenir de ciels, d'îles et d'océans ? |
12 |
|
La domination de Carthage recule |
12 |
155 |
es autels de Philène aux colonnes d'Hercule ; |
12 |
|
Les continents captés se meuvent dans ses rets ; |
12 |
|
Son commerce s'étend jusqu'à des bords secrets, |
12 |
|
Et nul n'en peut fixer les bornes infinies. |
12 |
|
Qui comptera jamais l'or de nos colonies ? |
12 |
160 |
Nos marchés sont gorgés du fruit de tous pays ; |
12 |
|
Nous savons soutirer des trésors inouïs |
12 |
|
De la terre enflammée et de la terre arctique ; |
12 |
|
Des Sorlingues l'étain, l'ambre de la Baltique, |
12 |
|
Et du creux de l'Afrique où l'air est étouffant, |
12 |
165 |
Notre poudre dorée et nos dents d'éléphant. |
12 |
|
Ainsi, parmi le bruit de pas des caravanes, |
12 |
|
Un sourire fleurit aux dents des courtisanes |
12 |
|
Et des puissants, devant l'incalculable don |
12 |
|
Que nous fit à jamais notre mère Didon… |
12 |
170 |
Vaincre Carthage ! non ! soit force ou ruse oblique, |
12 |
|
Qui peut se mesurer avec la République ? |
12 |
|
Même les plus armés ne lui résistent pas. |
12 |
|
Les villes de l'Afrique ont mis leurs murs à bas |
12 |
|
Pour qu'entre les cités, seule, elle ait des murailles. |
12 |
175 |
Tout tremble devant elle. Elle n'a pas d'entrailles. |
12 |
|
Elle est forte, elle est riche… Aux faibles de pâtir ! |
12 |
|
Nous ne sommes plus ceux de Sidon et de Tyr, |
12 |
|
Nous ne nous brisons pas d'un choc comme nos verres ; |
12 |
|
Non ! couvrant tout des plis de leurs pourpres sévères, |
12 |
180 |
Nos suffètes hautains et nos durs sénateurs |
12 |
|
Règnent de par notre or et les dieux protecteurs. ! |
12 |
|
Et toi, tu viens me répéter dans ton audace |
12 |
|
Que ma ville n'est plus, qu'elle a passé ! |
|
|
LE POÈTE |
|
Que ma ville n'est plus, qu'elle a passé ! Tout passe. |
|
|
Vois ! n'est-ce pas la mort partout, rien que la mort ? |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
185 |
Erreur ! c'est le sommeil qui me possède encor. |
12 |
|
Ses richesses sont là, marines et civiles. |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Elle n'est plus. Périr est le destin des villes. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Mes yeux ! mes yeux ! mes yeux !… éclairez-moi, mes yeux ! |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Ils ne te trompent point, tes yeux. Regarde mieux. |
12 |
190 |
Quitte un instant l'espace où plongent tes prunelles, |
12 |
|
Et vois où tu dormais dans ta tunique d'ailes, |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
(regardant, ramassant et rejetant les objets) |
|
Ah ! je suis au milieu des attributs des morts : |
12 |
|
Un sarcophage ouvert, tous les menus trésors |
12 |
|
Des défunts… Un miroir — où s'éteint mon image ; |
12 |
195 |
La corbeille des fruits, du miel et du fromage, |
12 |
|
Mais vidée… ou plutôt, tout s'y est desséché. |
12 |
|
Des joyaux !… une bague où le signe caché |
12 |
|
De Tanit se combine avec le caducée ; |
12 |
|
Une amphore pour les parfums — elle est cassée ! |
12 |
200 |
Une lampe bicorne, un masque en pâte, un clou, |
12 |
|
De la monnaie, une urne à queue… et ce caillou… |
12 |
|
Et ce collier… et tout le mobilier funèbre |
12 |
|
Que la fêlure gagne et que la rouille zèbre… |
12 |
|
Tout cela bien longtemps resta dans l'oubli froid ; |
12 |
|
Mais la morte ? qui donc fut la morte ? |
|
|
LE POÈTE |
205 |
Mais la morte ? qui donc fut la morte ? C'est toi ! |
|
|
LA PRÊTRESSE, avec un cri d'horreur.
|
|
O déesse !… |
|
|
LE POÈTE |
|
O déesse !… Rappelle-toi… |
|
|
LA PRÊTRESSE, les yeux fous.
|
|
O déesse !… Rappelle-toi… Oui… sur ma couche… |
|
|
Mon époux en pleurant me baisait sur la bouche… |
12 |
|
Je mourais… |
|
(avec éclat) |
|
Je mourais… Je suis morte ! et Carthage avec moi ! |
|
(Elle retombe assise sur le bord du sarcophage et se voile
largement la face, puis reste ainsi ensevelie, immobile.)
|
|
LE POÈTE |
|
Non. Ne tiens pas pour vrai ce que ta douleur croit. |
12 |
210 |
Ta ville après ta fin vécut longtemps encore, |
12 |
|
Riche et dure toujours, jusqu'à ce qu'une aurore |
12 |
|
Rouge, en flamme, du fond de Rome se levant, |
12 |
|
Carthage, la cité de la mer et du vent, |
12 |
|
Disparut en un jour de sa base à son faîte. |
12 |
215 |
N'as-tu pas entendu qu'on marchait sur ta tête ? |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, écartant lentement ses voiles et se redressant à demi.
|
|
Me faudra-t-il sortir de ces afflictions |
12 |
|
Pour parler ? Qui marchait ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Pour parler ? Qui marchait ? Le pas des légions. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Je n'ai pas entendu. Profonde était ma tombe. |
12 |
|
LE POÈTE |
|
C'est pourtant un grand bruit, quand une ville tombe, |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, regardant les ruines autour d'elle.
|
220 |
Elle est tombée ! hélas !… Comment ? Puis-je savoir ? |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Nul reflet n'a passé parmi ton sommeil noir ? |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Sombre est la mort. Rien n'a relui dans ma cellule, |
12 |
|
LE POÈTE |
|
C'est pourtant un grand feu quand une ville brûle. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Elle a brûlé !… Pourtant que nous étions puissants ! |
12 |
225 |
Elle a brûlé !… Nos mains lui brûlaient des encens… |
12 |
|
Elle a brûlé ! brûlé !… N'était-il aucun homme |
12 |
|
Pour sauver ma cité ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Pour sauver ma cité ? Rien ne résiste à Rome. |
|
|
Des siècles ont passé sur terre ; tout est mort, |
12 |
|
Villes, peuples et dieux. Mais Rome vit encor. |
12 |
230 |
Seule elle a mérité ce nom : Ville Éternelle. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Je connais aujourd'hui ce qu'il adviendra d'elle ! |
12 |
|
Le destin des cités est la destruction, |
12 |
|
Mais n'est-il pas, dis-moi, de consolation |
12 |
|
Pour la honte et pour la douleur sous qui je ploie ? |
12 |
235 |
Si Carthage n'est plus, n'aurai-je pas la joie |
12 |
|
D'un seul nom de héros qui soulage mon mal ? |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Écoute bien ce nom immortel : Annibal ! |
12 |
|
|
LE POÈTE |
|
Annibal ! Tous l'ont pris à jamais pour modèle. |
|
|
Sur l'histoire, son ombre est comme un grand coup d'aile. |
12 |
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LA PRÊTRESSE |
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Et qui donc m'a vaincu mon héros ? |
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LE POÈTE |
240 |
Et qui donc m'a vaincu mon héros ? Scipion. |
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LE POÈTE |
|
Scipion ! Il fut grand. |
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LA PRÊTRESSE |
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Scipion ! Il fut grand. Je sens un scorpion |
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Qui me mord ! Mais, dis-moi, par quelles sombres ligues |
12 |
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Ma ville trépassa ? Qui la perdit ? |
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LE POÈTE |
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Ma ville trépassa ? Qui la perdit ? Ses figues. |
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|
Leur poids humilia la toge de Caton. |
12 |
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LA PRÊTRESSE |
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Caton ?.,, qu'est-ce ? |
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LE POÈTE |
245 |
Caton ?.,, qu'est-ce ? Celui qui forgea le dicton |
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Que l'on va répétant à jamais d'âge en âge : |
12 |
|
«Et je pense qu'il faut qu'on détruise Carthage.» |
12 |
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LA PRÊTRESSE |
|
D'âge en âge… ainsi donc, de gorges en sommets, |
12 |
|
Notre honte est redite aux peuples à jamais ? |
12 |
|
LE POÈTE |
250 |
Non, La honte, c'était votre orgueil sans entrailles, |
12 |
|
Vos esprits resserrés sur l'or comme des mailles. |
12 |
|
Mais la gloire pour vous fut dans les jours ardus, |
12 |
|
Car vos peuples sans cœur se sont bien défendus. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Raconte-moi ! |
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LE POÈTE |
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Raconte-moi ! Parmi le massacre et les flammes, |
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255 |
De terrasse en terrasse ils ont lutté. Les femmes |
12 |
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Pour cordage ont donné leurs immenses toisons |
12 |
|
Aux vaisseaux qu'on tailla dans le bois des maisons |
12 |
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LA PRÊTRESSE |
|
C'étaient mes sœurs… Que n'ai-je, ivre de sombre gloire, |
12 |
|
A ma ville donné ma chevelure noire ! |
12 |
260 |
Ah ! je l'aurais sauvée ! oui ! de par mon amour, |
12 |
|
Elle serait encore orgueilleuse en ce jour ! |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Non. Rome l'a vouée à cette solitude. |
12 |
|
Carthage a refleuri, riche, arrogante et rude, |
12 |
|
Mais romaine, avec d'autres dieux et d'autres lois. |
12 |
265 |
Puis la mort est venue une seconde fois |
12 |
|
Ruiner à jamais sa seconde opulence. |
12 |
|
Ayant connu les grands martyrs, ceux dont s'élance |
12 |
|
L'âme vers l'infini sous la dent des lions, |
12 |
|
Elle vit l'envahir de nombreux tourbillons. |
12 |
270 |
Un peuple alors passa, ne laissant que les dalles |
12 |
|
De ses temples nouveaux. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
De ses temples nouveaux. Quel peuple ? |
|
|
LE POÈTE |
|
De ses temples nouveaux. Quel peuple ? Les Vandales. |
|
|
Il en demeure encor quelques-uns aujourd'hui. |
12 |
|
|
LE POÈTE |
|
Ensuite ? Elle devint, pauvreté qui reluit, |
|
|
La châsse de Byzance hypocrite et dorée ; |
12 |
275 |
Chrétienne devant cette mer sans marée, |
12 |
|
Elle élevait ici sa troisième cité, |
12 |
|
Jusqu'au jour où, comme un torrent précipité, |
12 |
|
Contre ses dômes d'or et jardins balsamiques, |
12 |
|
Déferla le galop des hordes islamiques. |
12 |
280 |
Elle tomba. Depuis, ses murs brisés et nus |
12 |
|
Servirent de carrière à tous ceux qui, venus |
12 |
|
Des quatre points du monde, emportèrent son marbre |
12 |
|
Ainsi que des cueilleurs prennent les fruits d'un arbre. |
12 |
|
C'est de cette façon que Carthage a fini. |
12 |
|
Rien n'en sort désormais que de l'orge. |
|
|
LA PRÊTRESSE |
285 |
Rien n'en sort désormais que de l'orge. Et Tanit ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Les dieux sont morts. Tanit n'est qu'une statuette. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Alors pourquoi, du fond de la couche muette |
12 |
|
Où je dormais dans le trépas sans rien savoir, |
12 |
|
M'avez-vous fait lever pour entendre et pour voir ? |
12 |
290 |
J'étais là, reposant dans ma tunique ailée, |
12 |
|
Je… Mais que vois-je encor ? Ma tombe violée |
12 |
|
N'est pas seule ! partout des travaux et des trous. |
12 |
|
Réponds-moi ! quels voleurs de tombes êtes-vous ? |
12 |
|
Contre de pauvres morts que plus rien ne protège, |
12 |
295 |
Vous avez donc commis l'horrible sacrilège ? |
12 |
|
Moi, j'avais dépensé, d'argent, tout un trésor. |
12 |
|
Pour me faire enfouir jusqu'au fond de la mort, |
12 |
|
Et, mon éternité, vous l'avez dérangée ! |
12 |
|
Qui donc avait payé le coûteux hypogée ? |
12 |
300 |
Soyez maudits, ô vous, sinistres fossoyeurs ! |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Écoute ! écoute , avant d'exhaler tes fureurs ! |
12 |
|
Donc, ta ville, Carthage, avant d'être insultée |
12 |
|
Par le feu des Romains… |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Par le feu des Romains… Ils m'avaient respectée ! |
|
|
LE POÈTE |
|
Écoute ! Elle a passé… Que t'importe après tout |
12 |
305 |
De connaître comment elle n'est plus debout ? |
12 |
|
Mais pour nous qui voulons conserver sa mémoire |
12 |
|
C'est du fond des tombeaux que se dresse l'Histoire. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Je n'écoute plus rien. Cesse donc ton discours. |
12 |
|
Doux était le néant, mais tristes sont les jours : |
12 |
310 |
En si peu de moments que de douleur m'abreuve ! |
12 |
|
Je revis ! Mais je suis plus orpheline et veuve |
12 |
|
Que les plus malheureux, que les plus mécontents : |
12 |
|
Veuve de ma cité, des miens et de mon temps, |
12 |
|
Seule !… Me rendrez-vous mes compagnons de vie ? |
12 |
315 |
De cette éternité que vous m'avez ravie, |
12 |
|
Ferez-vous resurgir mon époque, ma loi, |
12 |
|
Les costumes, nos dieux ?… |
|
(Elle se dresse, les bras étendus, dans une évocation passionnée,
criant vers les quatre points cardinaux.)
|
|
Les costumes, nos dieux ?… Morts de Carthage, à moi ! |
|
|
Levez-vous, frères miens, des tombes violées. |
12 |
|
Redressez-vous, esprits, de vos cendres mêlées, |
12 |
320 |
Et voyez ce que fit le destin très amer |
12 |
|
De la ville d'orgueil qui régnait sur la mer ! |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Ah ! qu'est-ce donc qui sort partout du fond des tombes |
12 |
|
Et se répand sans bruit comme un vol de colombes ? |
12 |
(Deux chœurs de spectres puniques s'avancent lentement,
l'un par la droite, Vautre par la gauche. Avant de s'être rejoints,
ils s'arrêtent un moment, comme s'ils regardaient
le paysage autour d'eux.)
|
|
LE PREMIER CHŒUR |
|
Où sont tes peuples forts dont tremblait l'univers, |
12 |
325 |
Carthage, Carthage, Carthage ? |
8 |
|
Sont-ce ces épis déjà verts |
8 |
|
Que le vent remue au passage ? |
8 |
|
LE DEUXIÈME CHŒUR |
|
Nous ne voyons plus ton visage, |
8 |
|
Carthage, Carthage, Carthage ! |
8 |
330 |
Rien que des épis déjà verts ! |
8 |
|
Qu'as-tu fait de l'orgueil, qu'as-tu fait de la rage ? |
12 |
|
Sont-ce ces épis déjà verts, |
8 |
|
Carthage, Carthage, Carthage ? |
8 |
(Ils étendent les bras vers les horizons, en se tournant
tour à tour vers les quatre points. Et ce mouvement circulaire
leur fait apercevoir la prêtresse, debout, dans l'attitude
sacerdotale. Les deux chœurs alors la saluent largement.)
|
|
LE PREMIER CHŒUR |
|
Salut à ton visage nu, |
8 |
335 |
O prêtresse, fille de prêtres ! |
8 |
|
Que fais-tu dans ce lieu sans êtres ? |
8 |
|
Où sont donc les encens ? où donc l'autel cornu ? |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, d'une voix blanche.
|
|
O spectres ! je suis morte, apportez les offrandes ! |
12 |
|
Chargez vos bras pieux, pour la libation, |
12 |
340 |
D'amphores petites et grandes, |
8 |
|
De pains de proposition ! |
8 |
|
LE DEUXIÈME CHŒUR |
|
Comment lèverais-tu tes deux paumes vers l'astre ? |
12 |
|
Comment répandrais-tu le sang et les parfums ? |
12 |
|
Vois ! ton âme et ton corps défunts |
8 |
345 |
N'officient que parmi les restes d'un désastre ! |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, plus haut.
|
|
O spectres ! apportez deux lampes à trois becs, |
12 |
|
Avec le lait, le vin, les huiles… |
8 |
|
Descends, divinité, selon les rites grecs ! |
12 |
|
Meurs-tu, Baâl, Echmoûn, Tanit, comme les villes ? |
12 |
(Elle a élevé les bras en une évocation désespérée.
Les deux chœurs, doucement, par un mouvement de strophe
et d'antistrophe, se sont rejoints. Ils ne forment plus
qu'un seul chœur qui secoue tristement la tête.)
|
|
LE SEUL CHŒUR, s'éloignant déjà.
|
350 |
Les vases de la mort sont à jamais secs ; |
11 |
|
La mort n'a pas de vin, pas de lait et pas d'huiles. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, criant.
|
|
Carthaginois ! |
|
|
LE CHŒUR |
|
Carthaginois ! Pourquoi nous appeler encor ? |
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Je vous appelle, hélas ! parce que tout est mort ! |
12 |
|
LE CHŒUR |
|
Silence !… car la mort a sa place sous terre. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
|
Et les dieux ? et les dieux ? |
|
|
LE CHŒUR |
(qui achève de s'éloigner en un long défilé,le doigt sur la bouche.)
|
355 |
Et les dieux ? et les dieux ? Ils sont dans le mystère… |
|
|
LA PRÊTRESSE, se jetant à genoux.
|
|
Carthaginois ! |
|
|
LE CHŒUR, parti. |
|
Carthaginois ! Silence… |
|
|
LA PRÊTRESSE, se relevant.
|
|
Carthaginois ! Silence… Ils m'abandonnent tous ! |
|
|
Je les ai suppliés, moi, prêtresse, à genoux… |
12 |
|
Dans la nuit des tombeaux n'est-il donc plus d'aurore |
12 |
|
Que pour moi qui voudrais, hélas, mourir encore ? |
12 |
|
(Elle s'avance, droite, face à l'étendue, regardant ses
vêtements, ses colliers, respirant ses cheveux… )
|
360 |
Seule !… Ah ! cette odeur de cercueil ! |
8 |
|
Ainsi, j'ai refranchi le seuil, |
8 |
|
Moi qui dormais parmi mes quatorze amulettes ! |
12 |
|
|
Hélas ! qu'ai-je vu, qu'ai-je appris ? |
8 |
|
Plus rien ne reste, que de gris, |
8 |
365 |
De pourpres d'autrefois, rouges et violettes. |
12 |
|
|
Seule !… et tout l'espace est vidé, |
8 |
|
L'espace jadis possédé |
8 |
|
Par la ville où régnait mon hautain sacerdoce. |
12 |
|
|
Pourtant Carthage existe encor ; |
8 |
370 |
Comme un arbre immense qui dort |
8 |
|
Dans la graine enfoncée au plus creux de la cosse, |
12 |
|
|
Carthage est ici, sous mon front. |
8 |
|
Ses splendeurs toujours brilleront |
8 |
|
Quand il n'en resterait pour témoignage qu'une. |
12 |
|
375 |
Malgré la tombe et son sommeil |
8 |
|
Dans ce disque Baâl-Soleil |
8 |
|
Demeure, et, dans ce fin croissant, Tanit-la-Lune. |
12 |
|
|
Mais si je bois ainsi mes pleurs |
8 |
|
C'est que de souterrains voleurs |
8 |
380 |
Viennent nous dérober ce suprême vestige. |
12 |
|
|
Ils fouillent jusqu'à nos tombeaux, |
8 |
|
Détruisant les derniers lambeaux |
8 |
|
Où subsistait, à tous caché, notre prestige. |
12 |
|
|
Grains de collier qu'on nous reprend, |
8 |
385 |
C'est par vous, trésor frêle et grand, |
8 |
|
Que ce pays vivait encor de notre idée. |
12 |
|
|
Oui, jusqu'ici, mer, ciel, sommets, |
8 |
|
O belle patrie ! à jamais, |
8 |
|
Du haut en bas, c'est nous qui t'avions possédée, |
12 |
|
390 |
De par notre immortel orgueil, |
8 |
|
Plus fort que la ruine et le deuil, |
8 |
|
Malgré le temps, la mort et l'odeur du cercueil ! |
12 |
|
(Elle se penche tout à coup et regarde) |
|
Mais que vois-je venir ? Voici l'orge qui bouge, |
12 |
|
Un spectre encor s'avance en robe bleue et rouge, |
12 |
|
Puis d'autres… |
|
|
(Quelques Bédouines commencent à paraître.) |
|
LE CHŒUR DES OUVRIERS |
(regardant le poète immobilisé dans une attitude d'horreur sacrée.) |
395 |
Puis d'autres… Qu'a-t-il vu que nous ne voyons pas ? |
|
|
LE SURVEILLANT |
|
Il tremble, il joint les mains, il murmure tout bas, |
12 |
|
Et c'est tout juste encor si sa force le porte. |
12 |
|
Est-il devenu fou des mots de cette morte ? |
12 |
|
Mais que veulent ici ces moukères pieds nus ? |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, qui, attentive, a regardé les Bédouines.
|
400 |
Ah ! qui sont celles-là dont les yeux ingénus |
12 |
|
Entre leurs cils courbés regardent comme en rêve ? |
12 |
|
La grâce de leurs reins se répète et s'achève |
12 |
|
Dans l'amphore que tient leur bras… Je ne sais point. |
12 |
|
Et cependant j'ai vu, quand je vivais, au loin, |
12 |
405 |
Leurs costumes passer à l'entour de Carthage. |
12 |
|
Vous dont je reconnais peut-être le visage, |
12 |
|
Passantes, êtes-vous des mortes comme moi ? |
12 |
|
… Elles n'ont pas compris. Leur regard reste froid. |
12 |
|
LE POÈTE |
|
Ce sont des mortes, oui, qui longtemps demeurées |
12 |
410 |
Dans le songe engourdi des aïeules dorées, |
12 |
|
Vont se lever demain pour l'immense réveil |
12 |
|
De l'Islam paresseux qui dormait au soleil, |
12 |
|
Car elles ont senti, malgré leur âme lasse, |
12 |
|
Un souffle d'Occident qui redressait leur race. |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
415 |
Venez donc, ô mes sœurs en résurrection ! |
12 |
(Elle leur fait signe. Les Bédouines obéissent sans
comprendre et se rangent autour du sarcophage.)
|
|
LE SURVEILLANT |
|
Il faudrait punir cette intrusion. |
10 |
|
Chassons-les ! |
|
(Il s'avance, suivi du chœur, sur les Bédouines, qui
reculent et s'en vont effrayées.)
|
|
LA PRÊTRESSE |
|
Chassons-les ! Et ceux-ci, dont la bande effarée |
|
|
S'avance, qui sont-ils ? |
|
|
LE POÈTE |
|
S'avance, qui sont-ils ? Ceux qui t'ont déterrée ! |
|
|
LA PRÊTRESSE, hérissée, sacrée, terrible, et ramassant une grosse pierre.
|
|
O fureur !… Voyez-moi ! je suis Baâl, Tanit, |
12 |
420 |
Tous les dieux ! A moi, pierre, à moi, bloc de granit ! |
12 |
|
Écrase-les ! Fais-toi pesant comme une meule !… |
12 |
|
Carthage est morte ? soit ! La vengeance à moi seule ! |
12 |
(Elle se précipite sur le chœur et lance au hasard sa pierre,
au milieu de l'épouvante et de la dispersion générale ; seul,
le poète reste en scène avec elle.)
|
|
LE CHŒUR, en disparaissant.
|
|
Au secours !… Sauvons-nous ! |
|
|
LE POÈTE, allant à la prêtresse frémissante, et lui prenant doucement la main.
|
|
Au secours !… Sauvons-nous ! Nous sommes innocents. |
|
|
La science en nos cœurs brûle comme un encens. |
12 |
425 |
Et si tu te sens, toi, ce soir, dépossédée, |
12 |
|
Sache que c'est par nous, l'Histoire à l'œil ouvert, |
12 |
|
Que du vieux Marius au moderne Flaubert, |
12 |
|
Sont venus et viendront, apportés par chaque âge, |
12 |
|
L'honneur et le respect sur le nom de Carthage, |
12 |
|
LA PRÊTRESSE |
430 |
Mais ces tombeaux, c'était la dernière cité, |
12 |
|
Et vous la détruisez ! |
|
|
LE POÈTE |
|
Et vous la détruisez ! Pour la postérité ! |
|
|
LA PRÊTRESSE, sanglotant.
|
|
Et que m'importe, hélas ! si mes mains orphelines |
12 |
|
Se tendent tristement vers les ruines de ruines |
12 |
|
Qui furent nos palais, nos temples, nos maisons ? |
12 |
435 |
Ah ! je me tourne en vain vers les quatre horizons : |
12 |
|
Jusqu'au bout du sommet, jusqu'au fond de la gorge, |
12 |
|
Je n'aperçois plus rien que cailloux ou champs d'orge… |
12 |
|
Réponds ! réponds !… Parmi cette destruction, |
12 |
|
Que reste-t-il de nous ? |
|
|
LE POÈTE |
|
Que reste-t-il de nous ? Plus qu'une ville : un nom. |
|
(La prêtresse sanglote. Le poète, la tenant toujours
par la main, la conduit doucement vers le sarcophage,
sur le bord duquel elle se laisse tomber assise.
Puis il se met à genoux dans la pose de la première scène,
et, très respectueusement, dit :)
|
440 |
Ne pleure pas ainsi. Voici la nuit qui tombe. |
12 |
|
Vois ! la mer est là-bas creuse comme une tombe, |
12 |
|
Mais elle est le berceau du soir et du matin. |
12 |
|
La lune va sortir d'elle, soleil éteint. |
12 |
|
Tanit morte a gardé son visage nocturne |
12 |
445 |
Et penchera vers toi sa face taciturne… |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, faiblement.
|
|
Tanit ! |
|
|
LE POÈTE |
|
Tanit ! L'azur du soir où plus rien ne reluit |
|
|
Couve pourtant la nuit imminente, la nuit |
12 |
|
Qui déploiera, parmi sa semence d'étoiles, |
12 |
|
Le zaïmpf de Tanit, le voile entre les voiles |
12 |
|
LA PRÊTRESSE, plus faiblement.
|
|
Le zaïmph ! |
|
|
LE POÈTE |
(Il la recouche avec précaution dans le sarcophage,
tout en parlant, jusqu'à ce qu'elle soit dans sa première
pose funéraire.)
|
450 |
Le zaïmph ! Couche-toi. Vois ! Le soleil se couche ; |
|
|
Que le silence soit à jamais sur ta bouche, |
12 |
|
Puisque sont à jamais les siècles révolus, |
12 |
|
O prêtresse, ô beauté d'un monde qui n'est plus ! |
12 |
|
Ce soleil renaîtra du fond des eaux tranquilles. |
12 |
455 |
De même, malgré tout, refleurissent les villes. |
12 |
|
Paris, mon orgueilleuse et vivante cité, |
12 |
|
C'est Carthage toujours, mais en activité. |
12 |
|
Moi, je suis le Présent, toi le Passé. Repose, |
12 |
|
Et que ton âme soit, comme ta bouche, close |
12 |
460 |
Par l'éternel sommeil ignorant et doré. |
12 |
|
Rendors-toi ! rendors-toi !… Moi, je te bercerai. |
12 |
|
(A voix basse) |
|
Rendors-toi, Carthage, |
5 |
|
Au berceau de ton sarcophage ; |
8 |
|
Rendors-toi, Carthage, |
5 |
|
465 |
Les mains sur ta gorge, |
5 |
|
Dans l'odeur du soir et de l'orge, |
8 |
|
Les mains sur ta gorge. |
5 |
|
|
Dors, lampe brisée, |
5 |
|
Tu ne revivras qu'au musée, |
8 |
470 |
Dors, lampe brisée ! |
5 |
|
|
Dors, qu'il pleuve ou vente, |
5 |
|
O morte sous l'orge vivante, |
8 |
|
Dors, qu'il pleuve ou vente ! |
5 |
|
|
Dans ta nuit sans bornes, |
5 |
475 |
Devant ta montagne aux deux cornes, |
8 |
|
Dans ta nuit sans bornes, |
5 |
|
|
Repose, Carthage, |
5 |
|
Au berceau de ton sarcophage, |
8 |
|
Repose, Carthage… |
5 |
|
(Il a refermé le sarcophage et, sur les derniers mots,
s'en va sur la pointe du pied.)
|
|
|
|