Métrique en Ligne
DLR_13/DLR1116
Lucie DELARUE-MARDRUS
CHOIX DE POÈMES
1951
TRADUCTIONS
en vers français
par
LUCIE DELARUE-MARDRUS
FRAGMENT D'UN TEXTE DE L'AUTEUR
PRÉFAÇANT DEUX POÈMES D'EDGAR POE.
Ulalume
Tristes étaient les étendues ; 8
Sèches, les feuilles, et tordues — 8
Sombres, les feuilles, et tordues ; 8
C'était nuit dans !'Octobre amer 8
5 De ma plus immémoriale 8
Année, au fond des brumes pâles 8
De l'humide marais d'Auber, 8
Dans l'âpre région de Weir — 8
C'était près du noir lac d'Auber, 8
10 Au bois hanté des ghouls de Weir. 8
Une fois, ici, dans le drame 8
Des titanesques, noirs cyprès 8
D'une allée obscure, j'errais — 8
Errais avec Psyché mon âme, 8
15 Aux jours où mon cœur lourd de flamme 8
Était ce volcan sombre et sec 8
Qui souffle son soufre, d'Yaneck, 8
Au pôle ultime, et roule avec 8
Des bonds au bas du mont Yaneck, 8
20 Au bas du boréal Yaneck. 8
Triste notre colloque, et sobre, 8
Mais traître notre songe amer. 8
Car, nous ignorant en Octobre, 8
Sans remarquer ce soir amer 8
25 De l'année (ah ! nuit entre toutes 8
Les nuits !) nous ignorions la route, 8
Ne reconnaissions pas la route, 8
Ne voyions pas le lac d'Auber, 8
(Bien qu'ayant pris déjà son air,) 8
30 Ignorions le noir lac d'Auber, 8
Le bois hanté des ghouls de Weir. 8
Et maintenant que la nuit claire 8
Marquait à son cadran stellaire, 8
Marquait l'aube au cadran stellaire, 8
35 Au bout du sentier finissant 8
Parut, nébuleux, liquescent, 8
Un miraculeux jour haussant 8
Avec deux cornes un croissant : 8
Astarté, diamant haussant 8
40 Les deux cornes de son croissant. 8
« Elle est plus chaude que Diane, 8
Dis-je, et hante un éther brumeux 8
De soupirs, zone diaphane. 8
Elle a vu que les pleurs des yeux 8
45 N'ont pas séché sur cette joue 8
Où le ver à jamais se joue. 8
Elle vient à travers les bleus 8
Astres du Lion silencieux. 8
Malgré le Lion silencieux, 8
50 Nous montrant le chemin des cieux, 8
Elle vient, à travers les cieux, 8
L'amour dans ses yeux lumineux. » 8
Mais Psyché, levant son doigt d'ombre, 8
Dit : « De cette étoile j'ai peur, 8
55 De l'étrange étoile, j'ai peur ! 8
Hâtons-nous hors de sa lueur ! 8
Oh ! fuyons ! fuyons sa pâleur ! » 8
Elle parla dans la terreur, 8
Laissant, dans la poussière sombre, 8
60 Ses ailes traîner leur blancheur, 8
Pleura jusqu'à ce que, dans l'ombre, 8
Ses plumes traînent leur blancheur, 8
Mélancolique, leur blancheur. 8
Je répondis : « Ce n'est qu'un rêve ! 8
65 Allons vers sa splendeur qui luit, 8
Cristalline splendeur qui luit, 8
Car, sibylline, elle s'élève 8
Et brille d'espoir, cette nuit. 8
Vois ! Elle monte, cette nuit, 8
70 Au firmament, et nous conduit. 8
Ah ! Suivons-la, qui nous conduit 8
Jusqu'au ciel à travers la nuit ! » 8
Ainsi calmant son amertume 8
J'embrassai Psyché dans la brume 8
75 Et la tentai hors de son deuil. 8
Mais, en continuant, nous fûmes 8
Barrés par une tombe au seuil 8
Portant des mots gravés de deuil. 8
— « Quelle inscription dans la brume, 8
80 Douce sœur, dis-je, est sur le seuil ? » 8
Elle répondit : « Ulalume ! — 8
Ulalume ! — C'est Ulalume ! 8
C'est ton Ulalume au cercueil ! » 8
Mon âme alors devint fanée 8
85 Et semblable aux feuilles fanées. 8
Je criai : « Quel démon d'enfer 8
M'a conduit comme l'autre année ? 8
C'est sûrement l'Octobre amer. 8
C'est ici portant, l'autre année, 8
90 Un fardeau terrible, que j'ai, 8
Je m'en souviens bien, voyagé. 8
C'est la même nuit de l'année ! 8
Je reconnais ce lac d 'Auber, 8
Cette âpre région de Weir — 8
95 Reconnais ce noir lac d'Auber, 8
Ces bois hantés des ghouls de Weir. » 8
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