Métrique en Ligne
DLR_12/DLR1020
Lucie DELARUE-MARDRUS
Nos Secrètes Amours
édition "Les Iles", 1951
1902-1905
LE DANGEREUX DÉSIR
I
Viens ce soir sur la berge où rampent les eaux riches 12
De reflets isolés plus rouges que du sang ; 12
La Seine a des profils sinistres de péniches 12
Et tout l'air des bas-fonds d'un Londres menaçant. 12
5 Je te tiens au poignet, mal vêtue et perverse, 12
Blonde, blonde !… et britannique terriblement… 12
N'imagines-tu pas, dans ce vent plein d'averse, 12
Qu'il pourrait arriver un sombre événement ? 12
N'attends-tu pas de moi quelque mauvaise absence 12
10 Où le geste brutal qui tourmente mon poing 12
Me jettera sur toi, pâle de jouissance, 12
Pour t’assommer à coup de caillou dans un coin ? 12
Qui sait si tel sursaut d'origines douteuses 12
Ne me fait pas un sang de garce ou d'assassin, 12
15 Ce soir, devant ce fleuve et dans cet air malsain 12
Où gronde la couleur des usines fumeuses ? 12
Pourquoi m'avoir parlé si longtemps de ton mal 12
Poétique et pervers de riche détraquée, 12
Sans voir quelle prunelle obscure d'animal, 12
20 Brillait, dans la douceur de mes cils embusqués ?… 12
— Ah laisse-moi ! Va-t-en ! Je me retournerai 12
Contre toi tout à coup, les yeux noirs d'anarchie, 12
Pour te frapper, pour t'écraser ce cœur doré 12
En face du malheur éternel de la vie !.. 12
II
25 A quoi bon tout cela, puisque la vie est autre ? 12
Il vaudra toujours mieux n'avoir rien dit ni fait. 12
Ma colère subite et profonde d'apôtre, 12
Je l'oublierai, je la renierai, s'il te plaît. 12
Voici l'ombre odorante et la douceur des choses ; 12
30 Je retombe dans les coussins dont j'ai médit. 12
Ah ! sombrer dans la joie et rouler dans les roses, 12
Et ne plus rien savoir que le bonheur du lit ! 12
Penche-toi sur mes yeux où le regard trépasse. 12
Où te veut tout un long désir de velours noir. 12
35 Je m'abandonne et m'affaiblis, je me sens lasse 12
Contre tes seins vivants et tièdes dans le soir. 12
Que, lentes, la richesse et la douceur de vivre 12
Nous balancent au fond d'un suprême hamac 12
Et que notre âme en nous repose comme un lac 12
40 Jusqu'à l'heure aux yeux durs de se prendre et d'être ivres. 12
— Comment me souviendrais-je encore du sanglot 12
Rauque et du cauchemar plein d'averse des berges, 12
Lorsque baignent tes bras, tes hanches, tes seins vierges, 12
Dans cette étoffe bleue et douce comme une eau ? 12
45 A genoux devant toi, toute blancheur, j'abjure 12
Les ténèbres qui nourrissaient mon rêve amer : 12
Je ne veux plus porter en moi comme blessure 12
Que le génie ardent et profond de la chair ! 12
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