Métrique en Ligne
DLR_10/DLR955
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
JACQUELINE
III
Je te disais, lorsque vivante, 8
« Bonjour, petit Jacquelinot ! » 8
Je le redis dans l'épouvante. 8
Te voilà si bas — ou si haut ! 8
5 Disparue à jamais. En proie 8
A la décomposition, 8
Toi, toi !… Sans douleur et ans joie, 8
Sans espoir et sans passion. 8
Objet dans la terre, squelette 8
10 Qui travaille à se délivrer 8
DE ce fardeau pâle et doré 8
Qui composait ta silhouette, 8
Tes yeux qui plongeaient dans mes yeux 8
Et que révulsa l'agonie, 8
15 Ces deux beaux joyaux verts et bleus 8
Sont déjà dans l'ignominie. 8
Ta bouche… tes mains… tout ton corps, 8
Tout cela dans la tombe close 8
Existe encore, longue chose 8
20 Qu'on cacha comme les trésors. 8
Et tout cela va disparaître 8
Lentement dans l'obscurité. 8
Une fille si jeune, un être 8
Dont il ne va plus rien rester. 8
25 Brûlante encore est ta présence, 8
Ta place dans ce monde ci. 8
Je te revois partout : ici, 8
Là ; c'est ton regard, ta cadence, 8
Et rien ! tu ne reviendra pas, 8
30 Je ne saurai plus rien. J'ignore 8
Qui tu es, si tu vis encore 8
Dans on ne ait quel grand là-bas. 8
Je répète mon appel tendre. 8
Est-ce que je parle à quelqu'un ? 8
35 Je ne sais si tu peux m'entendre. 8
Des signes ? Tu n'en fais aucun. 8
Ah ! la mort ! Cette indifférence 8
De l'être qui s'en est allé ! 8
Mes ennemis peuvent parler, 8
40 Tu ne prendras plus ma défense. 8
Moi je ne suis plus rien pour toi. 8
Tu te reposes dans ta terre, 8
Plus inerte qu'un caillou froid, 8
Têtue, occupée à te taire. 8
45 Ce surnom qui fut toi, pourtant, 8
Jacquelinot, je le répète. 8
Mais ma pauvre voix inquiète 8
N'appelle plus que du néant. 8
L'entends-tu, ma vois douloureuse ? 8
50 — Jacquelinot, notre amitié ! 8
Non ! Tu n'est qu'une mort affreuse 8
Qui dort, ayant tout oublié. 8
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