Métrique en Ligne
DLR_10/DLR954
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
JACQUELINE
II
J'allais par les Champs-Élysées 8
Vers l'Arc, porte de l'horizon. 8
Les jets d'eau, comme des fusées, 8
Montaient dans la belle saison. 8
5 Mai. Fleurs et fleurs. Et ces nuages 8
Sur les marronniers flamboyants. 8
Paris remuait ses images, 8
Scintillait de tous ses brillants. 8
La foule qui descend et monte, 8
10 Je la traversais d'un vol droit, 8
Pressée, ayant comme une honte 8
De regarder tout ce qu'on voit. 8
Dans cette lumière câline 8
Du mois de mai qui pleut tout doux, 8
15 J'allais au dernier rendez-vous. 8
C'était la mort de Jacqueline. 8
Jacqueline… dans chaque nid 8
Le monde naît. La vie est belle. 8
Que Paris est charmant ! Pour elle, 8
20 Tout est fini, tout est fini. 8
Ombres, lumières, silhouettes, 8
Tout ce que l'on croise en passant, 8
Ce bouillonnement incessant, 8
Gravures faites et défaites, 8
25 Le passé plein de souvenirs, 8
Le présent et sa fantaisie, 8
Le réel et la poésie, 8
Les proches, troublants avenirs, 8
Tout ce que l'âme curieuse 8
30 Peut attendre de l'imprévu 8
Après ce qu'elle a déjà vu ; 8
L'aventure sombre ou joyeuse, 8
Les saisons, les villes, les champs, 8
Le monde moral et physique, 8
35 L'art, la pensée ou la musique, 8
Ce que font les bons, les méchants, 8
L'existence, enfin, l'existence, 8
Ce danger auquel nous tenons 8
Malgré nous, quel que soient nos noms, 8
40 Matelots toujours en partance. 8
Nos brusques désirs d'infini 8
Ou notre incroyance hantée, 8
L'amitié, seule ancre jetée 8
Dans l'océan — tout est fini. 8
45 Elle était grande, simple, forte. 8
Elle a refermé ses yeux verts, 8
Et voici que tout l'univers 8
Meurt d'un coup avec cette morte. 8
Nous, nous restons encore là, 8
50 Et nous continuerons sans elle 8
A vivre un moment tout cela, 8
Suivis par son ombre irréelle ; 8
Mais pour elle, fini, fini… 8
Jacqueline, hélas ! Jacqueline !… 8
55 Il nous reste, au jour qui décline, 8
Ce tombeau qu'un prêtre a béni. 8
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