Métrique en Ligne
DLR_10/DLR946
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
RENCONTRE A SAINT-GERMAIN
La petite fille aux grands yeux 8
M'attendait sur le banc de pierre, 8
Mince revenant que mes yeux 8
Ne pouvaient distinguer du lierre, 8
5 La petite fille était moi 8
Lorsque j'avais dix ans à peine, 8
Et je l'ai prise contre moi 8
D'un geste tendre de marraine. 8
J'ai dit : « Pauvre petit enfant 8
10 Avec ton tablier de toile, 8
Dans tes gentils cheveux d'enfant 8
Personne ne voit une étoile. 8
« Toi que taquinent tant de sœurs, 8
Tu seras célèbre, gamine, 8
15 Et tu n'es rien, pour tes cinq sœurs, 8
Que la dernière, une vermine. 8
« Comme tu seras grande un jour ! 8
On s'entretiendra de ta gloire. 8
Pressens-tu parfois ton histoire, 8
20 A cette heure où tombe le jour ? » 8
Elle a répondu, bien timide : 8
« J'ai quelque chose, dans mon cœur, 8
Qui me tourment et me fait peur, 8
Mais je me tais, étant timide. 8
25 Ce quelque chose que j'ai là, 8
Cela me grise, mais c'est triste. 8
Même quand les cinq sœurs sont là, 8
J'ai beau faire, cela persiste. » 8
« Oui, c'est triste, certescerte ! » ai-je dit. 8
30 On croit à des apothéoses ? 8
La gloire, quoiqu'on en ait dit, 8
Ce n'est pas un bandeau de roses. 8
« Petite, je suis comme toi, 8
Je puis être deux fois ta mère, 8
35 Mais cachée, inquiète, amère, 8
Va ! J'ai la même âme que toi ! » 8
Le printemps nous berçait ensemble, 8
Le soir rose tombait sur nous ; 8
L'enfant était sur mes genoux… 8
40 Longtemps nous pleurâmes ensemble. 8
logo du CRISCO logo de l'université