Métrique en Ligne
DLR_10/DLR922
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
L'HUMBLE ORGUEIL
J'aime être dans ces paysages 8
D'herbes, d'arbres et de nuages 8
Qui furent ceux de tous les âges. 8
Sais-je, ici, de quel temps je suis ? 8
5 Semblables jours, semblables nuits, 8
Même silence et mêmes bruits, 8
Tout cela n'est d'aucune époque. 8
J'écoute, éternel soliloque, 8
Le merle caché qui se moque, 8
10 Je respire, et c'est le printemps. 8
Je marche, et la terre a vingt ans. 8
Les boutons d'or sont éclatants, 8
Les pâquerettes, les pervenches, 8
Quelques pommiers en robes blanches, 8
15 Le frôlement au vent des branches, 8
Les grillons, les crapauds, mon chien, 8
Son perpétuel va et vient, 8
Tout cela vit, et ne sait rien, 8
Rien des siècles et de l'histoire ; 8
20 Et quel repos à ne pas croire 8
Que d'être sans nom et sans gloire ! 8
Passé, présent, tout est pareil. 8
Ce matin il faisait soleil, 8
Ou bien il pleuvait au réveil, 8
25 C'est tout. Il n'y a que la terre 8
Et son magnifique mystère, 8
Sans date, sans style, sans ère. 8
Que je sois moi-même, ou Phryné 8
Ou madame de Sévigné, 8
30 Qu'importe ? Allant se promener, 8
Je suis l'être humain anonyme 8
Que la vie un moment anime 8
Parmi le frisson unanime 8
L'être humain, éphémère errant ; 8
35 Et, cela, n'est-ce pas plus grand 8
Que toutes ces peines qu'on prend ? 8
On voudrait être quelque chose ; 8
Rien de mieux, pourtant, que la rose 8
Qu'un soir compose et décompose. 8
40 L'homme se dit et se croit roi. 8
— Je ne veux plus rien être, moi, 8
O nature, qu'un peu de toi ! 8
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