Métrique en Ligne
DLR_10/DLR895
Lucie DELARUE-MARDRUS
MORT ET PRINTEMPS
1932
FANTÔMES
L'orageuse ou la calme vie, avec ses ans 12
Accumulés ; aura saturé ma poitrine 12
De l'air natal, le long d'herbages paysans 12
Où toujours traîne un peu l'odeur de la marine. 12
5 Et voici. Peu à peu le vide de la mort, 12
Tristement agrandi chaque jour, m'environne. 12
Je suis l'arbre qui perd à la fin sa couronne, 12
Quand ses feuilles s'enfuient au grand souffle du Nord. 12
Des amis, des parents, des serviteurs fantômes 12
10 Marchent derrière moi quand je vais seule au vent. 12
Ils étaient là. J'avais leur sourire vivant. 12
leur vie a fui, comme de l'eau, de mes deux paumes. 12
Celui-ci, celle-là, rencontrés tous les jours, 12
Leurs conversations naïves ou savantes ! 12
15 Ces passants, où sont-ils ? Où donc sont mes servantes ? 12
J'appelle des absents à tous les carrefours. 12
Je parais jeune, oui. Mais l'affreux cimetière 12
Intérieur m'apprend si bien l'âge que j'ai ! 12
Cette part que j'avais n'est pas restée entière. 12
20 Tous ceux-là sont partis, et le siècle a changé. 12
La transformation des villes et des âmes 12
Fait mes coudes frôlés de coudes inconnus. 12
Les vieux sont morts, les jeunes vieux. Nouveaux venus, 12
Les enfants sont déjà des hommes et des femmes. 12
25 C'est mon pays ! C'est moi ! Ma racine tient bon ! 12
O ma ville, mes prés, vous, mon amour suprême, 12
Tout est comme autrefois, n'est-ce pas ?… — Certes non ! 12
Spectres, spectres partout — sans parler de moi-même. 12
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