Métrique en Ligne
DLR_1/DLR89
Lucie DELARUE-MARDRUS
OCCIDENT
1901
L'ENCENSOIR
A UNE
Proie un soir de mon rêve, ô ma pâleur, ma brune, 12
Ma grande ! je me veux encor dans des demains 12
Le coude à tes genoux rejoints pour, une à une, 12
Compter à tes dix doigts les bagues de tes mains 12
5 Dont les chatons changeants couvent des clairs de lune. 12
Ta robe d'or pompeuse et lourde de son tour 12
Fleurira largement ses corolles d'étoffe 12
Et ton chef balanceur de strophe et d'antistrophe 12
Secouera ta coiffure haute comme une tour ; 12
10 Et tu te lèveras aussi parmi la foule 12
Banale, tout à moi qui seule comprendrai, 12
Avec ton regard noir hautainement filtré 12
Sur cette foule, et lourd du mépris de sa houle, 12
Tu parleras avec le souffle de ton cœur, 12
15 Et de ton art à fleur de tes lèvres, à fleur 12
De ta beauté, flûtant en mots de calme et d'ombre 12
Et souriant un rire attendri de bonté, 12
Et tremblant de tendresse et t'enflant d'âme sombre 12
Comme un violoncelle où pleure un andanté, 12
20 Et t'amplifiant plus en voix qui monte et gronde 12
Et clame des vers gros d'appels et de fureurs 12
Et hurle !… Et dans ton geste et cette voix profonde, 12
Il y aura des cris de haine avant-coureurs ; 12
La Liberté farouche agitant dans ses voltes 12
25 A bout de bras, le grand drapeau fou des révoltes, 12
La Marseillaise plein la poitrine ; et encor 12
Il y aura Sapho brisant sa lyre d'or, 12
Il y aura Carmen blême de tragédie 12
Intime, les deux yeux dévorés d'incendie, 12
30 Tout le sanglot, tout le sursaut, tous les frissons 12
Et le vent furieux rebroussant les moissons 12
Et des serpentements de sirène mêlée 12
A la marée avec son geste large ouvert 12
Frémissant jusqu'au bout de la traîne étalée, 12
35 Terrible et rauque en toi comme toute la mer ! 12
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