Métrique en Ligne
DLR_1/DLR35
Lucie DELARUE-MARDRUS
OCCIDENT
1901
PAROLES I
L'OFFRANDE
Le grand Tout le Monde, et ces mains qui le travaillent 12
Comme une glaise informe où l'œuvre surgira, 12
Les oisifs et ceux-là qui taillent et retaillent, 12
Tous, des noms les plus hauts jusqu'aux et cætera, 12
5 L'intégral Aujourd'hui, science, art, rêve farouche, 12
Laborieusement pour le demain accouche. 12
Nous voici donc, nous la ténèbre et le rayon ! 12
Vanités, nullités, vous, misère, ignorance, 12
Égoïsme, mal, vice, immense bataillon, 12
10 Toute la brute humaine horrible de souffrance, 12
Horrible de bassesse, horrible de laideur, 12
Porte son faix et prend sa part au dur labeur 12
Car, ô les grands meneurs, ô les fronts de lumière 12
Et vous, l'habileté subtile des dix doigts, 12
15 C'est dans, par cette énorme et stupide matière 12
Que flamboient vos cheveux et que clament vos voix ; 12
Artistes, c'est parmi ces tourbes dégoûtantes 12
Que se tordent vos fleurs, les plus exorbitantes. 12
Le creuset de l'idée est empli jusqu'au bord, 12
20 La substance y bouillonne, inconsciente, et s'y moule, 12
Le joailler y met sa perle ; et de l'effort 12
De nous tous, contenant l'âme de notre foule, 12
Monument orgueilleux et commémoratif 12
Sort : le vase brillant, serti, définitif, 12
25 Le calice d'or pur gemmé de pierrerie, 12
Métal de la pensée et du progrès fécond, 12
Joyaux luisants de l'art et de la rêverie 12
Tirés du minerai de la masse sans nom 12
Et que nous te léguons afin qu'il te souvienne 12
30 Que nous fûmes, ô toi ! pérennité humaine ! 12
Car notre siècle tend les mains pour te l'offrir, 12
Voulant que l'avenir penché sur ce ciboire 12
S'enseigne, y apprenant ‒ devant vivre et mourir 12
A son tour ‒ quelle fut notre façon d'u boire 12
35 Le breuvage obligé fait de miel et de fiel 12
De notre part de vie humaine sous le ciel. 12
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