Métrique en Ligne
DLR_1/DLR110
Lucie DELARUE-MARDRUS
OCCIDENT
1901
VESPÉRALES
OMBRE
Sans qu'on t'ait entendue, ombre, comme un félin 12
Qui s'avance au pas lourd de ses pieds hypocrites, 12
Tu t'approches, berçant tes hanches sybarites 12
Et plonges dans mes yeux ton regard opalin. 12
5 Le léger mouvement de strophe et d'antistrophe 12
Dont tremble ta coiffure haute comme une tour 12
Fait se dissimuler et pointer tour à tour 12
Les deux fleurs de tes seins sous les fleurs de l'étoffe ; 12
De lourds chatons ont fait tes doigts exorbitants, 12
10 Ton cou porte en colliers des ampleurs de rosaires, 12
Et des calices nés dans d'innombrables serres 12
Ornent tes cheveux noirs d'un bizarre printemps. 12
Le cerne de tes yeux s'étend et s'accentue 12
Et meurtrit largement ta morbide pâleur 12
15 Où, fraîche, vénéneuse et tentatrice fleur, 12
Éclate la rougeur de ta bouche ambiguë. 12
Que veux-tu ? Tu répands des baumes et des nards 12
Et ton geste m'enlace ainsi qu'une couleuvre ; 12
Dans tes iris changeants toujours guette une pieuvre 12
20 Qui m'a déjà tentée au fond d'autres regards. 12
Tes lèvres m'ont souri sur celles d'autres femmes 12
Et d'autres bras tendus m'ont montré le chemin 12
Mystérieux et noir que m'indique ta main, 12
Toi que je ne suis pas comme tu le réclames. 12
25 C'est un chemin étroit qui longe inversement 12
La grande route droite où cheminent les couples ; 12
Il s'étale et sinue entre les tiges souples 12
De fleurs qui ne sont pas pour des bouquets d'amant. 12
C'est un chemin étroit tentant pour qui s'ennuie, 12
30 A qui tout le banal humain est en dégoût, 12
Et l'âme vagabonde y respire partout 12
Un ignoré parfum d'aventure inouïe… 12
Mais je ne suivrai point ton pas silencieux ; 12
Je n'ai rien écouté d'une voix plus puissante, 12
35 Je n'entends pas non plus ta voix pervertissante 12
Et le Livre aura seul mon cœur sentencieux. 12
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