VI |
LE FRÈRE IGNORANTIN, |
Dédié au RÉVÉREND FRÈRE PHILIPPE |
Supérieur de l'École des Frères |
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Voici. |
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Voici. Je fus atteint d'une balle à Villier. |
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Vers le soir, l'ennemi commençait à plier, |
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Car nous l'avions chargé tous à la baïonnette, |
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El chacun s'élançait, les officiers en tête, |
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Avec le bataillon tout entier nous suivant |
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Derrière le drapeau qui marchait en avant. |
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Voyez-vous, on a peur pendant une bataille ! |
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Dame ! les boulets font nue effroyable entaille |
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Dans chaque rang, et c'est un coup que l'on reçoit, |
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Quand on voit les omis tomber morts pris de soi. |
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Or, un charmant garçon, mon ami de collège, |
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Arrive comme moi pour prendre part au siège, |
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Venait d'être tué du coup, en entraînant |
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Les mobiles de l'Aube où je suis lieutenant. |
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Oh ! alors, je sentis mon cœur sauter de rage ! |
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Je ne sais quoi soudain me rendit mon courage ; |
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Mais me tournant d'un bond vers mes homme ? je dis : |
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— Pour la France, chassons ces chiens et ces maudits ! |
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Puis je no vis plus rien à travers la fumée. |
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On se battait ! |
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On se battait ! Déjà reculait leur armée |
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Chargée en même temps par nous et les marins ; |
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Déjà nous les poussions, le fusil dans les reins, |
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Quand au dernier moment de la lutte, sans doute, |
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Je tombai tout à coup en travers de la route. |
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Lorsque j'ouvris les yeux, il faisait nuit ; la nuit |
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Sombre d'hiver où pas une étoile ne luit : |
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J'avais froid, ma blessure avait gagné mon être… |
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L'ambulance eût bien pu me recueillir, peut-être ! |
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Mais non, je restais seul, glacé par ma douleur, |
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Je sentis que la mort s'approchait, et j'eus peur ! |
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Oh ! le plus malheureux alors m'eût fait envie, |
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Tant le regret humain se cramponne à la vie ! |
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Car on ne viendrait plus ! Car on m'avait laissé ! |
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J'avais dans mes efforts roulé dans un fossé, |
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Et l'on avait passé près de moi sans me prendre ! |
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J'appelai… Mais en vain ! Qui donc eût pu m'entendre ? |
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A cette heure, chacun était si loin de là ! |
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La conscience alors dans mon cœur s'éveilla. |
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Je me souvins du mal quo j'avais fait, sans honte, |
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Et du terrible lot quo j'avais à mon compte : |
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Seul devant mon néant et mon éternité, |
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Je me souvins du Dieu que j'avais insulté ! |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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Tout à coup j'aperçus briller une lumière. |
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— « Encore un ! » dit tout haut une voix chaude et claire. |
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Et je vis à travers un rayon incertain, |
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Que près de moi venait un frère ignorantin. |
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Vous savez ? Un de ceux quo l'on voit dans la rue, |
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Et qui font rire, avec cette mine bourrue, |
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Avec leur grande robe, et leur long rabat blanc, |
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El que nous regardions d'un regard insolent ; |
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Un de ceux, l'esprit fort étant de la partie, |
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Dont jadis on disait : |
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Dont jadis on disait : — Ça sent la sacristie ! |
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Il était à genoux et me pansait. |
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Il était à genoux et me pansait. Alors, |
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Comme dans ces deux bras il soutenait mon corps, |
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Je vis que sa main droite était enveloppée. |
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— Qu'avez-vous ? demandai-je. |
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— Qu'avez-vous ? demandai-je. Oh ! j'ai la main coupée, |
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Dit-il en rougissant : c'est avec mon couteau… |
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Il mentait ! il avait des trous dans son manteau ! |
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Oui, il était resté debout dans la bataille ! |
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Lorsque tourbillonnaient le fer de la mitraille : |
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Cet homme, ce héros, ce prêtre, ce martyr, |
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Avait consolé ceux que Dieu faisait partir ! |
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Il avait secouru les blessés sous les bombes ! |
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Devant la mort, cet homme avait fermé les tombes ! |
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Eh ! nous, si nous courions ou danger qui venait, |
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C'est parce que la voix du pays nous traînait, |
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Héros ou lâches, droit à la fournaise immense, |
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Où le citoyen forge un honneur à la France ! |
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Puisque nous espérons triompher à la fin, |
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Eh ! nous, nous nous battions pour quelque chose, enfin |
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Mais toi, toi qui n'es pas un soldat, mais un prêtre, |
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Toi qui ne peux rougir la croix de ton saint maître, |
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Tu venais là, héros inconnu ou devoir, |
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Montrer Dieu pour les fous qui n'ont pas pu le voir ! |
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Prêtre, pardon pour moi ! pardon pour tous les autres ! |
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Les hommes de tous temps ont raillé les apôtres, |
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Ceux-là qui comme toi venaient, lumière en main, |
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Faire briller le ciel aux yeux du genre humain ! |
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Prêtre, pardon ! |
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Prêtre, pardon ! Devant le Dieu juste et suprême, |
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Oui, je le jure, eh bien je te bénis, je t'aime, |
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Toi qui portes la croix du Christ à ton chapeau, |
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Et qui mets : Charité comme aigle à ton drapeau ! |
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Paris, 13 janvier 1871.
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