XXXIV |
LA RECONNAISSANCE D'UN PEUPLE |
|
Le courant est venu : tout un peuple est debout. |
12 |
|
Un langage nouveau fait résonner partout |
12 |
|
Ces vieux mots de croisade et de guerre sacrée |
12 |
|
Par qui Jérusalem un jour fut délivrée. |
12 |
5 |
Et tous les chevaliers français levant les yeux |
12 |
|
Voient frissonner la vieille armure des aïeux. |
12 |
|
|
Louis XVI est le roi ? qu'importe un roi de France ! |
12 |
|
La croisade moderne est là-bas, et commence ! |
12 |
|
Ah ! ce n'est plus le Christ dont ils portent la croix, |
12 |
10 |
Ce n'est plus le tombeau de leur Dieu, cette fois, |
12 |
|
Qui fait bondir ces cœurs et prendre ces épées. |
12 |
|
Plume dont le héros écrit ses épopées ! |
12 |
|
Non ! la voix qui leur parle est la voix du canon |
12 |
|
Et d'un peuple, dont hier ils ignoraient le nom : |
12 |
15 |
Mais elle parle haut une langue inconnue |
12 |
|
Qui fendant l'Océan d'un vol leur est venue ! |
12 |
|
|
Ils se lèvent, manants et gentilhommes, tous ! |
12 |
|
Celui-ci prend son fils assis sur ses genoux. |
12 |
|
Et lui dit, en s'offrant lui-même en sacrifice. |
12 |
20 |
— Moi, je suis le soldat croisé pour la justice ! |
12 |
|
Cet autre est marié de huit jours seulement… |
12 |
|
— Oh ! si tôt ! quand l'époux est encore un amant ! — |
12 |
|
Mais l'amour vient après cette voix éternelle : |
12 |
|
— Je suis le paladin que tout un peuple appelle ! |
12 |
|
25 |
El tous se sont levés, et tous ils sont partis ! |
12 |
|
|
Ils arrivent… grand Dieu ! quels tourments ressentis, |
12 |
|
Pendant cette effrayante et rude traversée ! |
12 |
|
|
S'ils avaient pu combattre au moins par la pensée ! |
12 |
|
Ils arrivent… Enfin ! Pourquoi ? pour conquérir ? |
12 |
30 |
Non ! pour sauver un peuple, ou sinon pour mourir ! |
12 |
|
|
Dites à Washington de relever la tête : |
12 |
|
C'est l'âme de la France aux mains de Lafayette ! |
12 |
|
|
Sabre au vent ! déployez l'oriflamme au lys blanc ! |
12 |
|
Montjoie-Sainl-Denis s'unit à Fatherland ! |
12 |
35 |
Au galop ! au galop à travers la savane |
12 |
|
Que suit, l'orgueil au cœur, la grande caravane ! |
12 |
|
Elle va dans son sang qui ruisselle partout ; |
12 |
|
Sachant quel est le prix que Dieu lui garde au bout, |
12 |
|
Car elle voit au loin, chaque fois qu'elle avance. |
12 |
40 |
Le jour étincelant d'un peuple qui commence ! |
12 |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
Près d'un siècle a passé : ce peuple est grand et fort. |
12 |
|
|
Oh ! combien de Français ont rencontré la mort ! |
12 |
|
Dans la campagne, au fond du bois sonore et sombre, |
12 |
|
J'imagine qu'on voit se promener leur ombre, |
12 |
45 |
Qui pensive, accoudée au bord de son tombeau, |
12 |
|
Et songeant au passé, songeant à Rochambeau, |
12 |
|
Songeant à tous enfin, dit en levant la tête : |
12 |
|
— Voilà l’œuvre pourtant que notre sang a faite ! |
12 |
|
|
Puis elle entend au loin une voix dans le ciel… |
12 |
50 |
C'est la France qui meurt et qui bat le rappel, |
12 |
|
De ses enfants, de ceux qu'elle a voulu défendre… |
12 |
|
Alors, le vieux héros se penche pour entendre |
12 |
|
Si rien ne va répondre à ce sanglot profond… |
12 |
|
Allons donc ! Washington est mort, rien ne répond ! |
12 |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
55 |
A genoux sur ton sol où toujours le sang monte, |
12 |
|
Comme un maudit qui pleure en regardant sa honte, |
12 |
|
Moi, libre citoyen du peuple américain, |
12 |
|
Qui ne s'est pas penché pour te tendre la main, |
12 |
|
Et reste à contempler tes malheurs qui grandissent, |
12 |
60 |
Moi, certain que là-bas les cœurs fiers m'applaudissent, |
12 |
|
France, du sang de ceux dont tu nous as fait don, |
12 |
|
|
Je viens très-humblement te demander pardon ! |
12 |
|
Paris, 22 Février 1871.
|