III |
LA HONTE |
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Il est midi : le ciel est brillant de gaieté |
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Sous les doux chatoiements d'un beau soleil d'été ; |
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La brise est douce, et va, parfumant la campagne, |
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Du hêtre de la plaine au pin de la montagne ; |
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L'alouette s'élève en chantant sa chanson |
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Fraîche comme la fleur qui croît sur un buisson ; |
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Vous voyez ce tableau fait d'ombre et de lumière : |
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Dans le fond, la forêt, dont la sombre lisière |
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Borde légèrement la route tout au long, |
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Comme un mantelet brun jeté sur le vallon ; |
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Plus bas, le ruisseau clair coulant son eau tranquille, |
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Et plus loin, les maisons d'une petite ,ville |
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Toute blanche, au milieu de ce beau jour d'été |
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Qui respire l'amour, la vie et la gaieté ! |
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La ville, c'est Sedan ; le jour, le Deux Septembre. |
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Comprenez-vous cela, voyons ! |
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Comprenez-vous cela, voyons ! Dans cette chambre, |
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Un homme, un empereur, a jeté dans un coin |
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Comme un hochet usé dont on n'a plus besoin |
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Et qu'on brise d'un coup sur un pan de muraille |
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Son arme, vierge encor des feux de la bataille ! |
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Il est parti, disant : C'est moi le général ! |
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Bah ! pour lui c'est assez de monter à cheval |
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Et d'aller en parade en tête d'une armée ! |
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Mais que viennent les coups de fusil, la fumée |
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Du canon, les obus, le râle des soldats, |
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Tous ces héros obscurs que l'on ne connaît pas, |
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Cet homme, frissonnant devant cette tempête, |
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Rentrera son épée et baissera la tête, |
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Pendant que ses soldats qu'il fuit avec terreur, |
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Tomberont tous au cri de : Vive. l'Empereur ! |
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Quelqu'un vient et lui dit : |
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Quelqu'un vient et lui dit : — La bataille est perdue. |
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La ligne jusqu'au bout s'est en vain défendue : |
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Ils étaient vingt contre un !… Que faire ? |
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Ils étaient vingt contre un !… Que faire ? — Rendez-vous. |
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— Nous rendre ! Nous avons l'ennemi devant nous, |
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Chargeons encore, et si lu moitié de nous tombe, |
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La moitié passera sur eux comme une trombe ! |
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— Rendez-vous. |
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— Rendez-vous. — Quoi ! nous rendre ! Et l'honneur du drapeau ? |
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Et la France par nous morte et mise au tombeau ? |
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Et la honte d'aller, nous, quatre-vingt mille hommes, |
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Dos soldats, des Français, armés comme nous sommes, |
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Oublieux du passé, nous jeter à genoux… |
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Impossible ! Nous rendre ! Allons donc ! |
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Impossible ! Nous rendre ! Allons donc ! — Rendez-vous. |
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— Nous rendre ! Mais le monde est là qui nous regarde ! |
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Mais la France à ses fils a confié sa garde ! |
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Comme nous, notre épée est vivante, elle aussi ! |
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Nous no pouvons aller nous rendre à leur merci ! |
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Humilier devant ces Huns et ces Vandales |
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Qui sur nos fronts courbés essuieraient leurs sandales, |
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Vingt siècles de grandeur dont le monde est jaloux ! |
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Sire ! devant le ciel, que faire ? |
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Sire ! devant le ciel, que faire ? — Rendez-vous. |
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— Sire ! nous pouvons tout sauver, même la honte ! |
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Nous avons des héros avec lesquels on compte, |
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Les dragons, les hussards et ceux dos cuirassiers |
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De Reischoffen sont là, sabre au poing ; — essayez ! |
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Sire ! ne perdez pas l'honneur de la patrie ! |
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Sire ! voyez la France avilie et meurtrie |
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Qui tord ses bras maigris à force de souffrir, |
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Et qui nous dit de vaincre, ou sinon de mourir ! |
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Sire ! nous devons compte à l'éternelle histoire |
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De nous, de nos soldats, de notre vieille gloire, |
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De nos aïeux pensifs qui nous regardent tous ! |
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Sire ! ne perdez pas la France ! |
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Sire ! ne perdez pas la France ! — Rendez-vous. |
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Sacredieu ! pas un seul de tous ceux qu'on renomme, |
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Pas un ! n'osa casser la tête de cet homme ! |
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Ils ont capitulé ! C'est fini, bien fini ! |
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De tout ce grand passé que n'ont jamais terni |
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Ni les jours de succès, ni les jours d'infortune, |
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Restent des légions jetant, une par une, |
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Le fusil qu'à ses fils la France avait donné, |
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Aux pieds d'un caporal prussien couronné ! |
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Il est minuit : le ciel, étoiles impassibles,. |
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Éclaire les coteaux endormis et paisibles : |
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Le rossignol des nuits gazouille sa chanson |
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« Fraîche comme la fleur qui croît sur un buisson ; |
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Plus bas, le ruisseau clair coule son eau tranquille, |
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Et plus loin les maisons d'une petite ville |
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Toute blanche, au milieu de cette nuit d'été, |
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Qui respire l'amour, la vie et la gaieté… |
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Neufchâteau, 7 septembre.
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