Métrique en Ligne
DLP_1/DLP27
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
XXVII
LE VOLONTAIRE
— Chère femme, je viens te lire un gros mystère : 12
Ce matin je me suis engagé volontaire. 12
— Tu pars ? Voyons, voyons, je ne comprends pas bien… 12
Tu pars ?
— Oui.
— Quand ?
— Demain. Je ne te disais rien,
5 Parce que je voulais reculer la souffrance ; 12
Mais…
— Et pourquoi pars-tu ?
— Pour défendre la France,
Parbleu !
— Non, j'entends mal ce que tu dis, je croi
Tu pars… comme soldat ? Mais qui t'y force ?
— Moi…
— Mais moi, mais ton enfant ? nous quitter ? et sans cause ? 12
10 — Tu le trompes : je pars, et c'est pour quelque chose ! 12
Je pars pour accomplir notre devoir à tous ! 12
Vois-tu, le temps n'est plus de ne songer qu'à nous : 12
Au-dessus de l'amour des enfants et des femmes, 12
Il est un mot sacré qui fait vibrer nos âmes : 12
15 Un mol que nous avons bafoué trop longtemps, 12
Mais qu'il faut relever, s'il en est encor temps ! 12
— Je ne te comprends pas…
— Écoute, ma chérie :
Je viens de découvrir que j'aimais ma pairie !… 12
Ma foi, c'est vrai, j'étais incrédule et railleur ; 12
20 C'est mon pays vaincu qui m'a rendu meilleur, 12
C'est pourquoi j'ai pleuré dans le fond de moi-même, 12
Comme si je perdais un des êtres que j'aime : 12
Je m'étais endormi ne croyant plus à rien… 12
Au réveil, je me suis relevé citoyen ! 12
25 — Des mots que tout cela ! des phrases de poëte ! 12
Quelque rhéteur obscur t'aura monté la tête ! 12
Ta patrie est ici ; c'est ton enfant, c'est moi ! 12
Le reste ? que me fait le reste, excepté toi ? 12
Pourquoi donc vouloir faire une tâche plus grande 12
30 Que celle que la loi du peuple te demande ? 12
N'es-tu pas marié, n'es-tu pas père enfin ? 12
Reste ! tu dois rester !
— Oh ! c'est trop à la fin !
El tu ne comprends pas ! Que veux-tu que je dise 12
Alors ? Mais c'est à nous que l'invasion brise, 12
35 A nous dont elle vient menacer le foyer, 12
D'être une légion qui se lève en entier ! 12
Comment ! le prolétaire irait pour les défendre, 12
Lui qui n'a rien a perdre, eux dont on peut tout prendre ! 12
Comment ! étant époux, je suis moins citoyen, 12
40 Et la France en danger je ne lui dois plus rien ! 12
Tiens ! écoute une voix qui parle haut à lame ? 12
Entends-tu le canon qui tonne ?
Oh ! pauvre femme !
Pauvre mère !
Il en est qui tombent aujourd'hui,
Qui, le pays mourant, se sont levés pour lui, 12
45 Pour payer de leur sang ta défense et la nôtre ! 12
Et je n'oserais pas me battre comme un autre ! 12
Et je resterais là, bras croisés, sans rien voir, 12
Quand il n'en est pas un qui n'ait fait son devoir ! 12
Car tu le veux ainsi, toi, l'une des meilleures ! 12
50 Car tu me vois remplir mon devoir, et tu pleures ! 12
Et tu ne m'as pas mis le fusil dans la main ! 12
Et quand après cinq mois de jours sans lendemain, 12
Quand la France est debout, tout entière enfiévrée, 12
Je me lève à mon tour pour la cause sacrée, 12
55 Qui de chacun de nous eût dû faire un martyr, 12
Tu dis que je suis fou de songer à partir ! 12
Mais tu ne sens donc pas quel courant nous entraîne ? 12
Mois tu ne sens donc pas que l'heure est souveraine, 12
Et qu'il faut à présent oublier un passé 12
60 Que tout le sang d'un peuple aura vite effacé ? 12
Toi, Française, au moment où la tempête monte, 12
Tu te mets froidement du parti de la honte ! 12
Des mots, patriotisme, honneur ? — En vérité ! 12
C'est avec ces mots-là qu'on fait l'humanité ! 12
65 Et si je dois mourir en défendant ma cause, 12
Je serai mort au moins pour sauver quelque chose ! 12
Mais tu baisses la tête, et tu comprends aussi… 12
— Oui ! j'étais lâche ! Tiens… Va te battre !
— Merci !
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