Métrique en Ligne
DLP_1/DLP15
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
XV
LA VISION
C'est la nuit :
Tout Paris se bat sur les remparts.
De temps en temps on voit des bataillons épars 12
Passer au trot, traînant sur la route qui monte, 12
Des canons accroupis sur leur gueule de fonte. 12
5 Au loin, des reflets roux courent sur le ciel noir. 12
L'assaut a commencé vers dix heures du soir : 12
Pour terrasser d'un coup cette France héroïque 12
Qui se dresse en criant : Vive la République ! 12
Il faut prendre Paris, la superbe cité, 12
10 Qui, la première, a dit le mot de Liberté ; 12
Il faut anéantir par sa chute profonde 12
Ce cerveau bouillonnant qui fait penser le monde ! 12
Tout donne : la landwehr, la garde et les uhlans ; 12
Les casques, dans la nuit, brillent étincelants, 12
15 C'est le dernier assaut : s'ils sont vaincus encore, 12
Paris ne verra plus, quand reviendra l'aurore 12
Éclairant un amas de bataillons fauchés, 12
Les enfants d'Attila contre ses murs couchés. 12
C'est la fin : il faut vaincre, ou la France est perdue. 12
20 Hélas ! l'armée en vain s'est longtemps défendue ; 12
Comme toujours le nombre écrase nos héros ; 12
Le soldat n'entend plus la voix dos généraux : 12
Devant eux comme un flot que le flux leur amène, 12
Monte, monte toujours une marée humaine. 12
25 Deux bastions sont pris et repris trente fois. 12
N'importe ! il faut lutter encor comme autrefois ; 12
Il faut lutter toujours, résigné, mais terrible ; 12
Mourir s'il faut mourir ; vaincre, si c'est possible. 12
Quelle mêlée affreuse et quelle horrible nuit ! 12
30 Tout à coup un éclair de mitraille qui luit, 12
Montre Paris couché dans le sang jusqu'au ventre 12
Et prêt comme un lion à bondir de son antre… 12
A travers cet éclair Paris se voit perdu, 12
Et comme si l'appel pouvait être entendu, 12
35 Dans cette sombre nuit où le combat se forme, 12
Il se dresse d'un bond sur son séant énorme, 12
Et pousse un long sanglot d'agonie et d'adieu 12
Dont le sourd désespoir fait trembler jusqu'à Dieu ! 12
Soudain, à ce cri, l'Arc-de-Triomphe frissonne ; 12
40 Chaque héros couché se réveille et s'étonne : 12
On les voit, se dressant livides et nombreux, 12
Devant ce désespoir s'interroger entr'eux : 12
Que se passe-t-il donc ? Quelle voix les appelle ? 12
Ces hommes étendus dans la gloire éternelle 12
45 Où depuis soixante ans la mort les a bercés, 12
Voient ce déchirement des poëmes passés ! 12
Alors, tous, arme au poing, descendent de leurs marbres ; 12
Ainsi qu'un vent d'hiver effeuille les grands arbres, 12
Ce cri va réveiller nos aïeux endormis, 12
50 Et, de l'Arc-de-Triomphe, ils vont aux ennemis. 12
La Grande Armée est là, marchant, clairons en tête ! 12
Comme aux jours où chantaient la gloire et la conquête, 12
Comme aux jours d'Austerlitz, de Valmy, d'Iéna, 12
La France que jamais le ciel n'abandonna, 12
55 Pour donner à ses fils la suprême victoire, 12
Émeut la pierre où Rude a sculpté son histoire ! 12
Hoche, Marceau, Kléber, commandent ;
En avant
Les vieux de Marengo portant panache au vent ; 12
Derrière, les soldats de Zurich et d'Arcole ; 12
60 Puis les sous-lieutenants qui sortent de l'École, 12
Inconnus aujourd'hui, mais qui seront demain 12
Masséna sur l'Adige, et Lannes sur le Mein ; 12
Là, la cavalerie aux brillants uni formes 12
Dont la Prusse connaît les coups de sabre énormes, 12
65 Enfin, la Grande Armée, et le grand Souvenir, 12
Qu'à son râle puissant la France a vu venir ! 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le lendemain matin la France était sauvée. 12
— Mais d'où vient cette armée à notre aide arrivée, 12
Disait-on, au moment où nous étions perdus ? 12
70 Aussitôt, âme et cœur nous ont été rendus : 12
Oh ! quelle épouvantable et terrible besogne ! 12
Et comme nous venions des remparts de Boulogne 12
Je vis l'Arc-de-Triomphe à mes yeux se dresser : 12
Les héros souriants nous regardent passer. 12
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