Métrique en Ligne
DLP_1/DLP12
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
XII
SOUVENIR
Quand nous étions enfants tous doux, mon frère et moi, 12
Au mois d'août, nous allions, plus triomphants qu'un roi 12
Au château du grand'père, au fond de la montagne, 12
En Bourgogne, au milieu de la belle campagne, 12
5 Toute, chaude, et dorée aux feux de ce soleil 12
Qui fait le blé plus jaune et le vin plus vermeil. 12
C'est là que se passaient nos joyeuses vacances. 12
Il me semble avoir eu souvent plusieurs enfances, 12
Tant les ressouvenirs du passé sont nombreux. 12
10 J'ai ces premiers jours-là toujours devant les yeux. 12
Figurez-vous la route aride à la montée 12
Avec la haie en fleur au bord d'un champ plantée, 12
Et tout en haut, après un talus fort glissant, 12
La croix, blanche jadis, qu'on salue en passant, 12
15 A côté, le grand bois qui se perd dans l'espace, 12
En bas, dans le vallon, la rivière qui passe, 12
Et tout près, le château dans son beau parc ombreux… 12
Lorsque j'arrivais là, Dieu ! que j'étais heureux ! 12
Sans doute vous trouvez cela très-ordinaire ? 12
20 Eh bien, hier encor j'allais chez mon grand'père, 12
Et dès que j'arrivais je me sentais ému 12
Dans ce pays aimé que j'avais tant connu. 12
Le lendemain, dès l'aube, oh ! quelle promenade ! 12
Je courais dans les champs, sur la belle esplanade, 12
25 Dans les bois où si fier jadis j'avais passé, 12
Pour bien voir si le temps n'avait rien effacé : 12
Le bonheur que j'avais ne peut pas se décrire, 12
Ces choses-là, vraiment, il ne faut pas en rire… 12
Chacun a dans son cœur un endroit préféré, 12
30 Et s'est dit : Si je peux, c'est là que je vivrai : 12
Eh bien, pour moi, c'est là que j'aurais voulu vivre ! 12
Vous savez, on connaît le chemin qu'on va suivre, 12
On connaît les buissons sur le sol endormis, 12
Et même des brins d'herbe on s'est fait des amis ; 12
35 On sait juste l'endroit où l'aubépine pousse, 12
L'endroit où l'on aura les meilleurs lits de mousse, 12
Pour rêver doucement sans craindre la chaleur, 12
Et pouvoir aux oiseaux raconter sa douleur. 12
Tenez ! je gagerais m'en aller, sans lumière, 12
40 La nuit, les yeux fermés, m'asseoir sur une pierre 12
Que je revois d'ici derrière le parvis 12
De l'église, à côté d'un champ de chenevis, 12
Ou j'ai conté jadis bien des vers à la lune 12
Qui ne trouvait jamais ma visite importune ! 12
45 Eh bien, quand on m'a dit : Les Prussiens sont là ! 12
J'ai pleuré.
Je voyais à travers tout cela
Passer le soudard ivre et demandant à boire ; 12
Tout ce que je gardais au fond de ma mémoire, 12
Souvenirs d'un passé qui fait battre mon cœur, 12
50 Je voyais tout cela foulé par le vainqueur ! 12
Tout ce que j'aimais tant, ma seconde patrie 12
Par les soldats maudits désolée et flétrie !… 12
Quand les reverrons-nous ces beaux jours d'autrefois, 12
O ma chère campagne, o mes champs, ô mes bois !… 12
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