Métrique en Ligne
DLP_1/DLP11
corpus Pamela Puntel
Albert DELPIT
L'INVASION
1870
1870
XI
SURSUM CORDA
I
Allons ! n'hésitons plus, car l'heure est solennelle. 12
Puisque le malheur Vient-nous fouetter de son aile, 12
Puisque l'heure est venue où nous devons souffrir, 12
Soyons dignes de vivre en sachant bien mourir ! 12
5 Eh ! quoi ! parce qu'un homme a vendu notre France, 12
Parce qu'il a jeté le pays sans défense 12
Aux mains de deux bandits nés du sang d'Attila, 12
Sans résister encor nous en resterions là ! 12
Nous verrons !
Ils prendront Paris ? Soit, c'est possible !
10 Il ne restera plus qu'une cendre insensible 12
De la ville où le monde apprenait à penser ; 12
Sur son emplacement l'herbe pourra pousser, 12
Et l'on pourra semer, comme aux siècles antiques, 12
Du chanvre où s'élevaient ses créneaux héroïques ; 12
15 Mais après, nous aurons pour lever nos drapeaux 12
Quatorze millions de combattants nouveaux, 12
De l'or, du pain, du plomb, et le fer qui terrasse 12
Ceux qui pensent d'un coup frapper toute une race ! 12
Quand Paris sera mort, il nous restera Tours ! 12
20 Où les Valois dressaient leurs châteaux aux cent tours ; 12
Tous les siècles passés inclinés sur la Loire 12
Refléteront d'un coup notre superbe histoire ! 12
Tours brûlé, nous aurons Bordeaux vivante encor ! 12
Dans la vieille cité que brunit son ciel d'or, 12
25 Et que la main de Dieu pour jamais a bénie, 12
Nous irons enfouir la France et son génie ! 12
Quand ils l'auront brûlée et pillée, elle aussi, 12
Avant que nul de nous n'ait demandé merci, 12
Nous lutterons encor notre lutte impuissante, 12
30 Et Brest accueillera la France agonisante ! 12
Lorsque Brest tombera, quand tout sera perdu, 12
Quand Dieu de notre appel n'aura rien entendu, 12
Quand nous sortirons morts de la fournaise immense 12
Où le monde à jamais finit et recommence, 12
35 Oh ! alors, n'ayant plus ni poudre, ni canon, 12
N'ayant plus du passé qu'un regret, et qu'un nom 12
De la plus grande encor des histoires humaines, 12
N'ayant plus d'âme au corps et de sang dans les veines, 12
Pour trouver un tombeau digne de son néant, 12
40 La France ira d'un bond sombrer dans l'Océan ! 12
II
Mais nous verrons plus tôt finir notre épopée ! 12
La France ne fait plus reluire son épée 12
Pour défendre un tyran qu'elle ne voulait point !… 12
O nos fiers conquérants, nous n'irons pas si loin ! 12
45 Reichsoffen et Sedan, vos semblants de victoire, 12
Vont crouler sous ces murs qu'illustrera l'histoire 12
Paris va devenir votre immense tombeau !… 12
Et plus tard, quand sera venu l'âge nouveau, 12
Où l'homme recueilli dans le passé remonte 12
50 Pour juger froidement l'héroïsme ou la honte ; 12
Lorsque le voyageur égaré dans nos champs 12
Trouvera vos débris gardés par nos enfants, 12
Et qu'il demandera le nom de cette armée 12
Qui sous nos coups puissants s'est un jour abîmée, 12
55 Et le nom de son roi dans l'ombre enseveli, 12
On répondra, mêlant de dédain et d'oubli 12
Le nom de ce tyran au nom de son royaume : 12
— On ne sait plus qui c'est… Genséric ou Guillaume !… 12
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