Métrique en Ligne
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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
ENFANTS ET JEUNES FILLES
LE NUAGE ET L’ENFANT
L’enfant disait au nuage 7
« Attends-moi jusqu’à demain, 7
Et par le même chemin 7
Nous nous mettrons en voyage. 7
5 « Toi, sous tes belles lueurs ; 7
Moi, dans les champs pleins de fleurs, 7
Sur le cheval de mon père : 7
Nous irons vite, j’espère ! 7
« Je m’y tiens bien, tu verras ! 7
10 J’y monte seul à la porte ; 7
Et quand mon père m’emporte, 7
Je n’ai pas peur dans ses bras. 7
« Quand il fait beau, comme un guide, 7
En tête il me fait asseoir ; 7
15 Toi, d’en haut tu pourrais voir 7
Comme je tiens bien la bride ! 7
« Ah ! je voudrais d’ici là 7
Ne faire qu’une enjambée 7
Sur la nuit toute tombée, 7
20 Pour te dire : Me voilà ! 7
« Mais je vais faire un beau rêve 7
Où je rêverai de toi ; 7
Jusqu’à ce que Dieu l’achève, 7
Ami nuage, attends-moi ! 7
25 Comme il jetait les paroles 7
De ses espérances folles, 7
Le nuage décevant 7
Glissait, poussé par le vent. 7
Pourtant le bambin sautille, 7
30 L’oiseau chauffe, l’eau scintille, 7
Et l’écho lui sonne au cœur : 7
« Demain ! demain ! quel bonheur ! » 7
Enfin le soleil se couche 7
Et son baiser qui le touche 7
35 D’un voile ardent clôt ses yeux 7
Qu’il tenait ouverts aux cieux. 7
Près de rentrer chez sa mère, 7
Au voyageur éphémère 7
L’enfant veut parler encor, 7
40 Mais le beau fantôme d’or 7
N’est plus qu’une vapeur grise 7
Qu’avec un cri de surprise, 7
L’enfant qu’il vient d’éblouir 7
Voit fondre et s’évanouir. 7
45 Au cri de la petite âme, 7
S’est élancée une femme 7
Qui, le voyant sauf et sain, 7
Boudeur l’emporte à son sein. 7
Plaintif, le mignon s’y cache, 7
50 Déclarant ce qui le fâche, 7
Que, sans son bel étranger, 7
Il ne veut plus voyager ! 7
« Si tu chéris les nuages, 7
Mon amour, pour tes voyages 7
55 Le temps en aura toujours ; 7
Il en passe tous les jours. 7
— Ce ne sera plus le même, 7
Celui-là, mère, je l’aime ! » 7
Dit l’enfant, puis il pleura… 7
60 Et la femme soupira. 7
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