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Mère, je veux crier et faire un grand tapage. |
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Comment, je ne peux pas tous les jours être sage ! |
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Non, mère, c’est trop long tous les jours, tous les jours ! |
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Le monsieur l’a bien dit : « Rien ne dure toujours. » |
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Tant mieux ! je vais m’enfuir et crier comme George. |
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Qui m’en empêchera ? |
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Qui m’en empêchera ? — Personne. À pleine gorge, |
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Vous pouvez, cher ami, vous donner ce régal. |
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Mais vous serez malade… |
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Mais vous serez malade… — Oh ! cela m’est égal : |
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George ne meurt jamais. |
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George ne meurt jamais. — George afflige sa mère. |
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Un enfant mal appris est une joie amère. |
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— Je reviendrai t’aimer. |
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— Je reviendrai t’aimer. — M’aimer sans m’obéir ? |
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Déserter ton devoir, enfant, c’est me trahir. |
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Je crains, moi, qu’avant peu personne ne vous aime, |
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Et vous vous ferez peur tout seul avec vous-même. |
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— Non ! George n’a pas peur dans le cabinet noir. |
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Il dit que c’est tout brun comme quand c’est le soir ; |
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Pas plus. Et puis il chante à travers la serrure ; |
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Il se moque des grands, il fait le coq, il jure. |
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C’est brave de chanter sans jour et sans flambeau ! |
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Je veux être méchant pour voir. |
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Je veux être méchant pour voir. — Ce sera beau ! |
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— Je veux être grondé : gronde donc. |
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— Je veux être grondé : gronde donc. — Pourquoi faire ? |
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Vous me faites pitié. |
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Vous me faites pitié. — Je suis las de me taire ! |
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J’ai cassé mon cheval ; j’ai mis de l’encre à tout ; |
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Regarde ma figure ! |
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Regarde ma figure ! — Oui, c’est laid jusqu’au bout. |
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Mais qui vous a donné ce faux air de courage ? |
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Hier encor, priant Dieu qu’il vous rendît bien sage, |
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Vous vouliez ressembler à notre vieux cousin. |
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— Je n’avais pas été chez le petit voisin. |
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Il bat des pieds très-bien quand on le contrarie ; |
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Il ne dit pas bonjour, même quand on l’en prie !… |
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Ah ! ah ! c’est qu’on est fier d’être mis en prison ! |
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— Beaucoup de grands enfants y perdent la raison. |
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Pour leurs mères surtout c’est une triste gloire ! |
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Restez libre et soumis, si vous voulez m’en croire. |
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Moi, je n’ai point de cage où mettre mon enfant ; |
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Pas même les oiseaux, mon cœur me le défend. |
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Vous n’obtiendrez de moi ni prison, ni colère, |
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Et j’attendrai, de loin, que le temps vous éclaire. |
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— De loin ? |
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— De loin ? — Battez des pieds, poussez des cris affreux, |
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Devenez comme George un petit malheureux. |
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Vous en aurez la honte au grand jour. |
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Vous en aurez la honte au grand jour. — Quelle honte ? |
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George rit ; je rirai… |
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George rit ; je rirai… — Nous voici loin de compte. |
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Si vous ne craignez pas de rougir devant Dieu, |
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Il faudra, mon enfant, bientôt nous dire adieu. |
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À vivre sans honneur, moi, je ne puis prétendre, |
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Et si vous n’étiez pas ma gloire la plus tendre, |
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À la mère de George il faudrait ressembler. |
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— Oh ! non, ressemble-toi ! |
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— Oh ! non, ressemble-toi ! — Son sort me fait trembler. |
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Loin de la saluer, quand cette femme passe. |
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On se détourne d’elle, on lui fait de l’espace, |
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On va de porte en porte en chuchotant tout bas : |
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«Elle a gâté son fruit, ne la saluons pas ! » |
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Le fruit accuse l’arbre, et l’on juge, et le blâme |
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Tombera sur la mère et non sur la jeune âme |
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Qu’elle a laissé corrompre. On est plein de rigueur. |
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— Que dit-on de la dame ? |
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— Que dit-on de la dame ? — On dit qu’elle est sans cœur |
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Voyez comme elle est triste au fond de sa faiblesse ! |
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Le monde la méprise et son enfant la blesse ! |
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Ô mère humiliée en votre unique amour, |
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Je vous plaignis souvent : me plaindrez-vous un jour ? |
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— Pardon !… je ne veux pas te voir humiliée… |
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Pardon ! pardon ! Je veux que tu sois saluée ! |
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Mère, je serai bon comme le vieux cousin ! |
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Mère, je n’irai plus chez le petit voisin ! » |
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La mère tressaillit dans une vive étreinte ; |
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L’enfant ne cria plus ; il fut bon sans contrainte. |
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Et quand on saluait cette mère en chemin, |
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Il rougissait de joie et lui serrait la main ! |
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