Métrique en Ligne
DES_4/DES407
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
FOI
UNE NUIT DE MON ÂME
Par un rêve dont la flamme 7
Éclairait mes yeux fermés, 7
La nuit emporta mon âme 7
Où dorment nos morts aimés. 7
5 Sous ma fervente lumière 7
Le sol tressaille et se fend, 7
Et je ressaisis ma mère 7
Qui renaît pour son enfant ! 7
« Tu viens donc ! » dit la chère ombre 7
10 Dont la voix m’ouvre le cœur ; 7
« Tu sais donc qu’en ce lieu sombre 7
Tout spectre attend le bonheur ? 7
Viens, ne crains pas leur silence 7
Ni leurs yeux ouverts sans voir, 7
15 Le sommeil qui les balance 7
N’a de vivant que l’espoir. 7
L’espoir, ô ma bien-aimée, 7
Sève qui remonte à Dieu. 7
Vigne errante et parfumée 7
20 Qui fleurit, même en ce lieu ; 7
L’espoir, cette étreinte immense 7
Qui joint tous les univers, 7
Ne sens-tu pas qu’il commence 7
D’unir au moins nos revers ? 7
25 Comme aux chaleurs d’une serre 7
L’homme fait germer ses fleurs, 7
Le trépas qui nous enserre 7
Ici fait germer nos cœurs. 7
À travers le dernier voile 7
30 Tendu sur l’autre avenir 7
Nous voyons la double étoile 7
De l’aube et du souvenir. 7
Que de sources éternelles 7
Dans ces lointains toujours beaux 7
35 Que d’arbres aux fleurs nouvelles 7
Sur ces routes sans tombeaux ! 7
Vois que d’immortelles vies 7
Te recevront avec moi : 7
Vois que de mères suivies 7
40 D’enfants aimés comme toi ! 7
Sous une forme reprise 7
Et qui nous ressemblera, 7
Avec un cri de surprise 7
Chacun se reconnaîtra. 7
45 « Quoi, c’est lui ! c’est toi ! c’est elle ! » 7
Retentira de partout, 7
Et l’on proclamera belle 7
La mort vivante et debout ! 7
Jette donc loin des colères 7
50 Contre d’innocents ingrats ; 7
Le flambeau dont tu t’éclaires 7
Te voit si tendre en mes bras. 7
Cesse d’essayer la haine, 7
Faite pour la mépriser : 7
55 C’est perdre à river ta chaîne 7
La force de la briser. 7
Adieu, fille de mes larmes, 7
Revue à force d’amour, 7
Quand le temps rompra ses armes, 7
60 Tu me suivras au grand jour. 7
À ton épreuve asservie, 7
Va plaindre les plus souffrants, 7
Et pour gagner l’autre vie, 7
Retourne avec les mourants. » 7
65 L’ombre alors pressa ma lèvre 7
D’un baiser lent et profond 7
Qui d’une indicible fièvre 7
Fait encoreencor battre mon front. 7
Montez, mon humble courage. 7
70 Sous les insultes du sort : 7
J’irai plus haut que l’orage 7
Dans les ailes de la mort ! 7
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