FAMILLE |
À MON FILS |
APRÈS L’AVOIR CONDUIT AU COLLÈGE |
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Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même. |
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Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime, |
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Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or, |
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Où le ciel est en nous sans un nuage encor ; |
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Son enfant ! dont la voix nouvelle et reconnue, |
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Nous dit : « Je suis ta voix fraîchement revenue. » |
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Son enfant ! Ce portrait, cette âme, cette voix, |
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Qui passe devant nous comme on fut une fois ; |
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Quand on pense qu’il faut s’en détacher vivante. |
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Lui choisir une cage inconnue et savante. |
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Le conduire à la porte et dire : « Le voilà ! |
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Prenez, moi je m’en vais… » — C’est Dieu qui veut cela ! |
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Croyez-vous ? Dieu veut donc que noyée en ma peine |
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Comme cette Madone assise à la fontaine, |
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Cachée en un vieux saule aux longs cheveux mouillés, |
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Ne pouvant plus mouvoir mes pieds las et souillés, |
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Je pleure, et d’un sanglot croyant troubler le monde. |
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J’appelle mon enfant pour que Dieu me réponde ! |
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Mais la porte est déjà fermée à mon malheur, |
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Et tout dit à la femme : « Allez à la douleur ! » |
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J’y vais. Je n’ai rien dit, j’ai salué les maîtres ; |
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De la grande maison j’ai compté les fenêtres, |
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Parcouru le jardin sans verdure, sans fleurs. |
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Oui, c’est bien vrai, l’hiver est la saison des pleurs. |
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Les miens n’ont pas coulé de mon cœur gros d’alarme ; |
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J’ai vu partir mon fils sans verser une larme. |
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Il pâlissait, le pauvre, en me voyant partir ! |
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Je souriais pourtant, j’essayais de mentir. |
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Dieu ! folle d’un chagrin que rien ne peut décrire, |
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Pour endurcir son cœur j’essayais de sourire ! |
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Mais aux frissons épars dans mes membres tremblants. |
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J’ai senti que j’aurai bientôt des cheveux blancs. |
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Va ! je les aimerai. J’aimais ceux de ma mère. |
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Jeune encore, ils disaient son lot tendre et sévère. |
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Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours |
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Sans savoir que ce fût le livre de ses jours. |
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Tu baiseras les miens si l’amour me les donne. |
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Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne, |
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Quand tu vivrais cent ans tu t’en ressouviendras, |
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Et par delà mes jours, toi, tu les béniras. |
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L’avait-il pressenti quand furtif, hors d’haleine, |
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Comme un agneau cherchant sa mère dans la plaine, |
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Il franchit sans frayeur un vieux mur entr’ouvert |
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Et bondit, pour m’atteindre, au sentier découvert, |
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(Tandis que le collège assoupi dans l’étude |
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L’avait laissé se battre avec la solitude) |
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Quand ses bras étendus revolèrent vers moi, |
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Et qu’il cria : « Je veux m’en aller avec toi ! » |
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Mais à peine arrivé jusqu’à l’eau du rivage, |
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Qu’ils sont vite accourus l’ôter à mon courage ! |
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Car ils m’ont dit : «Courage ! » en m’arrachant sa main. |
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Et, sans savoir par où, j’ai repris mon chemin. |
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Quand on dira toujours que je suis trop heureuse ; |
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Qu’il aura de l’esprit ; que l’école est nombreuse ; |
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Que les enfants sont fiers d’y grandir loin de nous ; |
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Que je devrais bénir mon sort à deux genoux ;… |
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Ah ! j’y suis, à genoux, car l’angoisse est divine, |
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Et femme, je murmure, et mère, je m’incline. |
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Hélas, pour être mère on promet d’obéir, |
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Et mère on n’obéit qu’au risque de mourir ! |
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Vous, du moins, Vierge blanche, immobile et soumise, |
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Et seule, au bord de l'Eau pensivement assise, |
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Les mains sur votre cœur, et vos yeux sur mes yeux, |
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Parlez-moi, Vierge mère, oui ! parlez-moi des cieux ! |
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Parlez ! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme : |
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Vous en avez pitié puisque vous êtes femme. |
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Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu, |
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Ce fut le vôtre ; eh bien, parlez-en donc à Dieu ! |
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Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères, |
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Cachez dans vos pardons mes révoltes amères ; |
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Couvrez-moi de silence, et relevez mon front |
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Baissé sous le chagrin comme sous un affront. |
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Voilà ce qui s’est fait par un jour de Décembre, |
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Mois sans soleil. Voilà ce que dans cette chambre |
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Où je n’entends gronder et gémir que mon cœur. |
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Devant l’heure qui vient et passe avec lenteur, |
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Je retrace de lui pour m’aider à l’attendre. |
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Jusqu’au jour, jour de vie ! où je pourrai t'entendre. |
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Devant mon jeune maître alors je me tairai : |
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Il parlera… mais moi, je le regarderai ! |
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