FAMILLE |
À MON FILS |
AVANT LE COLLÈGE |
|
Un soir, l’âtre éclairait notre maison fermée, |
12 |
|
Par le travail et toi doucement animée. |
12 |
|
Ton aïeul tout rêveur te prit sur ses genoux, |
12 |
|
(Il n’a jamais sommeil pour veiller avec nous) |
12 |
5 |
Il parla le premier de départ, de collège, |
12 |
|
De travaux, de la gloire aussi qui les allège, |
12 |
|
Content d’avoir été, jeune un jour comme toi, |
12 |
|
Emmené par sa mère… il le disait pour moi… |
12 |
|
Puis traçant des tableaux pour étendre ta vue, |
12 |
10 |
De nouveaux horizons découvrant l’étendue, |
12 |
|
Il dit que, si petit qu’il fût, par le chemin. |
12 |
|
Il soutenait sa mère et lui tenait la main. |
12 |
|
Il raconta comment cette femme prudente |
12 |
|
L’avait porté loin d’elle en sa tendresse ardente. |
12 |
15 |
Ses yeux étaient mouillés me fixant en dessous… |
12 |
|
De ce poignant effort je l’aime et je l’absous ! |
12 |
|
Sur quoi, me voyant coudre un manteau de voyage, |
12 |
|
Il m’embrassa deux fois pour louer mon courage, |
12 |
|
Et toi, voyant qu’à tout je n’opposais plus rien, |
12 |
20 |
Tu répondis : « Allons, mère, je le veux bien ! » |
12 |
|
|
Oui, l’enfant veut toujours aller, perçant l’espace, |
12 |
|
Tourner autour du monde et voir ce qui s’y passe. |
12 |
|
Oui, son âme est l’oiseau qui n’a point de séjour. |
12 |
|
Et qui vole partout où Dieu répand le jour. |
12 |
25 |
Dès ce moment j’appris que j’avais fait un rêve, |
12 |
|
Que tout nous dit adieu, que tout bonheur s’achève, |
12 |
|
Et je devins confuse en pesant mon devoir. |
12 |
|
L’ai-je rempli ? Mon père était là pour le voir. |
12 |
|
Le lendemain déjà dépassant la charmille |
12 |
30 |
Et dérobant une âme au nid de la famille. |
12 |
|
Quand nos pigeons rangés nous regardaient partir, |
12 |
|
Trois fois prompte à rentrer, trois fois lente à sortir, |
12 |
|
Comme celle qui croit oublier quelque chose. |
12 |
|
Je ne pouvais sur toi tirer la porte close ; |
12 |
35 |
Et le guide appelait : ah ! je l’entendais bien. |
12 |
|
Mais j’oubliais toujours qu’il ne manquait plus rien. |
12 |
|
|
Et toi, dont toute l’âme éclatait sans culture. |
12 |
|
Partout où s’arrêtait notre lourde voiture, |
12 |
|
Cher petit protecteur de mon rude chemin, |
12 |
40 |
Tu descendais devant pour me donner la main. |
12 |
|
On souriait de voir, empressé comme un page, |
12 |
|
Un enfant si soumis, si diligent, si sage ; |
12 |
|
Et je disais en moi, triste comme aujourd’hui : |
12 |
|
« Jamais je ne pourrai m’en revenir sans lui ! » |
12 |
|
45 |
Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes, |
12 |
|
Si fortes pour aimer, nous, faibles sœurs des hommes, |
12 |
|
Ô mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour. |
12 |
|
Ces tendres fruits volés à notre ardent amour ? |
12 |
|
À peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre. |
12 |
50 |
Ô mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre ? |
12 |
|
À trembler sous un maître, à n’oser, par devoir, |
12 |
|
Qu’une fois tous les ans demander à nous voir ; |
12 |
|
À détourner de nous leurs mémoires légères. |
12 |
|
Alors que sauront-ils ? Les langues étrangères, |
12 |
55 |
Les vains soulèvements des peuples malheureux. |
12 |
|
Et les fléaux humains toujours armés contre eux. |
12 |
|
C’est donc beau ? Mais le temps saurait les en instruire. |
12 |
|
Candeur de mon enfant, on va bien vous détruire ! |
12 |
|
Quand je le reverrai, mon fils sera savant ; |
12 |
60 |
Il parlera latin ! Hélas, mon pauvre enfant. |
12 |
|
Moi, je n’oserai plus peigner ta tête blonde. |
12 |
|
Tu parleras latin ! Ta science profonde |
12 |
|
Ne pouvant avec moi suivre un long entretien, |
12 |
|
Tu diras tout surpris : « Ma mère ne sait rien ! » |
12 |
65 |
Eh ! que veux-tu : l’amour n’en sait pas davantage ; |
12 |
|
Ce maître conduit tout sans faire un grand tapage. |
12 |
|
Il va ! Tant que mes pieds pouvaient porter mes jours, |
12 |
|
J’allais chercher partout, pour t’en combler toujours, |
12 |
|
Les fruits qui font bondir ta jeune fantaisie, |
12 |
70 |
C’est notre étude à nous, c’est notre poésie. |
12 |
|
Et je versais aussi quelques graves leçons |
12 |
|
À ton doux cœur bercé par mes douces chansons. |
12 |
|
N’était-ce pas assez pour nourrir ton jeune âge ? |
12 |
|
Car tu n’as pas huit ans, chère âme ! Et c’est dommage, |
12 |
75 |
Oui, je le dis dommage, et frayeur, et danger. |
12 |
|
D’ouvrir tant de secrets à ton âge léger. |
12 |
|