Métrique en Ligne
DES_4/DES361
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES INÉDITES
1860
AMOUR
L’EAU DOUCE
L’eau qui a rencontré la mer ne retrouve
jamais sa première douceur.
Un poète persan.
Pitié de moi ! j’étais l’eau douce ; 8
Un jour j’ai rencontré la mer ; 8
À présent j’ai le goût amer, 8
Quelque part que le vent me pousse. 8
5 Ah ! qu’il en allait autrement 8
Quand, légère comme la gaze 8
Parmi mes bulles de topaze 8
Je m’agitais joyeusement. 8
Nul bruit n’accostait une oreille 8
10 D’un salut plus délicieux 8
Que mon cristal mélodieux 8
Dans sa ruisselante merveille. 8
L’oiseau du ciel, sur moi penché, 8
M’aimait plus que l’eau du nuage, 8
15 Quand mon flot, plein de son image, 8
Lavait son gosier desséché. 8
Le poëte errant qui me loue 8
Disait un jour qu’il m’a parlé : 8
« Tu sembles le rire perlé 8
20 D’un enfant qui jase et qui joue. 8
Moi, je suis l’ardent voyageur 8
Incliné sur ta nappe humide. 8
Qui te jure, ô ruisseau limpide, 8
De bénir partout ta fraîcheur. » 8
25 — Doux voyageur, si la mémoire 8
S’abreuve de mon souvenir, 8
Bénis Dieu d’avoir pu me boire, 8
Mais défends-toi de revenir. 8
Mon cristal limpide et sonore 8
30 Où s’étalait le cresson vert 8
Dans les cailloux ne coule encore 8
Que sourdement, comme l’hiver. 8
L’oiseau dont la soif est trompée 8
Au nuage a rendu son vol, 8
35 Et la plume du rossignol 8
Dans mon onde n’est plus trempée. 8
Cette onde qui filtrait du ciel 8
Roulait des clartés sous la mousse… 8
J’étais bien mieux, j’étais l’eau douce, 8
40 Et me voici traînant le sel. 8
logo du CRISCO logo de l'université