Métrique en Ligne
DES_3/DES342
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
LES AMITIÉS DE LA JEUNESSE
Des nœuds dont sa vie est liée, 8
Soulevant un moment le poids, 8
Et d'un long orage essuyée, 8
Mon âme se cherche une voix. 8
5 Comme sur le bord de sa cage 8
L'oiseau contraint de s'arrêter, 8
Sur ma bouche ainsi qu'au jeune âge, 8
L'âme est assise et veut chanter, 8
Mon jeune âge a fait deux amies, 8
10 Dont l'une est partie avant moi, 8
Parfum de mes fleurs endormies : 8
L'autre fleur vivante, c'est toi ! 8
Celle qui dort, je l'ai rêvée 8
Son bras enlacé dans le mien, 8
15 Tandis que toi, ma retrouvée, 8
Tu la retenais sous le tien. 8
Nous allions, comme trois colombes, 8
Effleurant à peine le blé ; 8
Et vers lé doux sentier des tombes 8
20 Le triple essor s'est envolé. 8
Pour panser un peu nos blessures, 8
Nous nous abattions dans les fleurs ; 8
Et ses angéliques censures 8
Ne s'aigrissaient pas de nos pleurs. 8
25 Son ombre, qui battait des ailes, 8
Charmante, nous disait tout bas : 8
« Allons voir des choses nouvelles ; 8
Allons vers Dieu, qui ne meurt pas ! » 8
Elle marchait, pâle et contente, 8
30 Sans sourire, mais sans pleurer ; 8
Son âme, couchée à l'attente, 8
Avait fini de soupirer. 8
La foule glissait devant elle, 8
Comme dans le monde on faisait, 8
35 Pour s'assurer qu'elle était belle 8
Comme le monde le disait. 8
Des ombres lui criaient : « Madame ! 8
Pour nous répondre arrêtez-vous : 8
Vous qui prenez âme par âme, 8
40 Où vous allez emmenez-nous ! 8
Car nous sommes bien accablées 8
D'attendre où l'on attend toujours : 8
Hélas ! nous serions moins troublées 8
D'entrer où finissent les jours ! » 8
45 Alors ses pitiés envahies 8
Dans sou cœur semblaient se presser, 8
Devant ces âmes éblouies 8
Qui se heurtaient pour l'embrasser. 8
Nous entrâmes dans une église, 8
50 Pour nous reposer à genoux ; 8
La Vierge seule était assise, 8
Posant son doux regard sur nous. 8
Aux fenêtres de ses demeures 8
Les lumières ne tremblaient pas, 8
55 Et l'on n'entendait plus les heures 8
S'entre-détruire comme en bas. 8
Notre corps ne faisait plus d'ombre 8
Comme dans ce triste univers, 8
Et notre âme n'était plus sombre : 8
60 Le soleil passait à travers ! 8
Voilà comment je l'ai rêvée, 8
Son bras enlacé dans le mien ; 8
Tandis que toi, ma retrouvée, 8
Tu la retenais sous le tien. 8
logo du CRISCO logo de l'université