Métrique en Ligne
DES_2/DES245
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
LA MÉMOIRE
Hélas ! qu’est-ce que l’amour, si ce n’est une douleur ?
Byron.
Tais-toi, ma sœur ! le passé brûle. 8
Son nom, c’est lui ; ne le dis plus : 8
Se reprendre à des biens perdus, 8
C’est marcher au flot qui recule. 8
5 Empreint d’une ardente douceur, 8
À peine effleure-t-il ma bouche, 8
Comme une flamme qui me touche, 8
Ce nom brûle… Tais-toi, ma sœur. 8
Femme, tu vois un cœur de femme 8
10 Au fond de nos yeux consternés, 8
Lorsqu’à s’éteindre condamnés, 8
Trop de fièvre en usa la flamme. 8
Au mal qui fait longtemps souffrir, 8
Crois-moi, l’homme est plus inflexible ; 8
15 Il nous défend d’être sensible : 8
Il ne défend pas d’en mourir ! 8
Ce qu’il sait de science amère 8
Pour mentir à son propre amour ; 8
Ce qu’il peut inventer un jour 8
20 Contre son idole éphémère ; 8
Ce que j’ai ressenti tout bas 8
De sa haine… ou de son délire, 8
Tout haut je ne veux pas le dire, 8
Pour que Dieu ne me venge pas ! 8
25 Car j’ai là comme une prière 8
Qui pleure pour lui nuit et jour ; 8
C’est la charité dans l’amour, 8
Ou c’est sa parole première. 8
Qu’elle enfermait d’âme et de foi, 8
30 Sa voix jeune et si tôt parjure ! 8
J’en parle à Dieu sans son injure, 8
Pour que Dieu l’aime autant que moi. 8
Je garde au cœur la fraîche empreinte 8
De ce qu’il fut dans sa candeur ; 8
35 Et, quand Dieu pèsera mon cœur, 8
Crois-tu qu’il en brise l’étreinte ? 8
Lui n’est plus lui, même à ses yeux ; 8
D’autres n’ont que son faux hommage : 8
Je le plains ; mais sa belle image, 8
40 Je ne la lui rendrai qu’aux cieux ! 8
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